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Mobilisation des enseignants : le service public mobilise ses experts fantoches
Article mis en ligne le 29 janvier 2020

Dans un précédent article, nous pointions combien les actions enseignantes contre les « E3C » (« épreuves communes de contrôle continu »), en cours depuis plusieurs jours, n’avaient pas eu la chance de figurer sur les scripts des deux plus importants JT de 20h du pays. À ce déficit d’information s’ajoute un autre problème de taille : la multiplication des tribunes médiatiques accordées au ministre de l’Éducation nationale, dont les mensonges ne sont nullement relevés, et encore moins contredits par les journalistes. En comparaison, la hargne dont font preuve certains chiens de garde à l’encontre de syndicalistes enseignants donne une fois de plus la mesure de l’accueil à géométrie variable réservé par les médias dominants aux différents protagonistes engagés dans le conflit actuel. Reste toutefois un point commun : l’incompétence des journalistes chargés d’interroger les uns… comme les autres.

À propos d’une interview de Jean-Michel Blanquer sur France Inter – nous y reviendrons plus bas – Daniel Schneidermann posait une question que nous reprenons à notre compte : « Quel est le sens de faire une heure de radio, sans confronter le ministre de l’Éducation aux questions précises d’un journaliste spécialisé ? » Une interrogation fort à propos, si l’on considère la faiblesse de la contradiction opposée au ministre. Et qui vaut également pour de nombreux sujets sur l’ensemble du PAF, privilégiant toujours davantage les « têtes d’affiche » et/ou éditorialistes polémistes pour mener les entretiens, au détriment de journalistes spécialisés. Si l’on s’en tient aux logiques marketing promues par les chaînes, le résultat est satisfaisant… mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat public n’en sort pas grandi. (...)

Et s’ils peuvent garantir le buzz et le « clash » grâce à quelques gueulantes hors-sol, c’est encore mieux ! L’équipe d’« On n’est pas couché » n’avait sans doute pas d’autre idée en tête lorsque fut sélectionné Romain Goupil, le 25 janvier, pour « questionner » Sophie Venetitay, secrétaire adjointe du SNES-FSU et professeur de SES, sur les mobilisations en cours. Omniprésent sur LCI, le réalisateur fait parler de lui chaque semaine pour un nouveau « coup de gueule », adoubé par David Pujadas, sans doute séduit par ses velléités d’éditorialisation à outrance, son absence d’argumentation et son arrogance proverbiale. En décidant de lui offrir à son tour un espace, le service public en a donc eu pour son compte (...)

La méditocrité au carré, en somme. Que n’ont pas manqué de pointer certains téléspectateurs, en particulier l’enseignante Laurence De Cock :

l’anecdotique des questions nous ramène au constat de taille mentionné précédemment : l’absence de journalistes spécialisés à même de poser des questions sur le fond des dossiers, et surtout, de remettre en cause ou de rectifier les mensonges assénés par un ministre au cours d’une émission. Trois exemples.

Ainsi aurons-nous pu entendre au cours de cet entretien Jean-Michel Blanquer affirmer sans être contesté : « La réforme du BAC, quand je l’ai présentée, a recueilli l’adhésion » ; affirmer également que les mobilisations actuelles, dénonçant l’autoritarisme du ministre ou les « E3C », étaient le fait de « forces déchaînées pour faire croire le contraire de la réalité », de « secteurs radicaux », de « gens qui ne font pas du bien aux élèves », de « pompiers pyromanes qui provoquent les perturbations », de « gens qui, quand ils voient que les choses vont bien se passer, veulent que ça se passe mal », d’une « minorité radicale […] qui incarne le conservatisme, l’immobilisme, le fait qu’on ne change jamais rien et c’est comme ça qu’on cultive les inégalités » [3]. Ali Baddou aura beau – une fois – rétorquer que ce sont « parfois (sic) des enseignants qui aiment leur métier » qui se mobilisent, la réaction fait pâle figure face à la violence répétée des propos…

Sans compter quelques inepties, qui, pour être proférées, exigent que l’on soit au moins ministre de l’Éducation nationale (et tête d’affiche médiatique pour ne pas y répondre) :
« Quand vous êtes raisonnable, tolérant, quand vous acceptez le point de vue d’autrui, vous êtes moins sur les réseaux que quand vous êtes violent, intolérant et que vous avez à tout prix envie de façon radicale de faire valoir votre point de vue. » (...)

Ainsi aurons-nous pu également entendre, sans la moindre opposition, le ministre stigmatiser certaines actions enseignantes : « Lancer des livres ou les jeter, c’est une négation du métier et de la dignité et de la noblesse du métier » ; mais également injurier un professeur de Caen ayant brûlé un livre, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, en donnant une explication univoque du sens de son geste symbolique : « Nous devons avoir le calme des vieilles troupes face à toutes les folies. C’est une folie. […] Si cette personne est un professeur, elle n’est pas digne d’exercer ce métier. […] Ce professeur est une honte pour le métier. » Le gréviste en question aura-t-il un droit de réponse sur France Inter ? Nous en doutons, au vu de la seule question qu’ont inspirée de tels propos à Ali Baddou : « Il doit être sanctionné ? » (...)

Outre la thématique de l’éducation, la docilité des journalistes se poursuit sur le plan politique. Dès lors, la question de la « spécialisation » professionnelle ne saurait être la condition sine qua non d’une interview digne de ce nom : imaginons, dans nos rêves les plus fous, que soit également respecté un tant soit peu de pluralisme politique ! Ce ne fut pas non plus le cas le 19 décembre : aucun journaliste n’a par exemple trouvé à redire aux déclarations pourtant outrancières du ministre associant la France insoumise et l’extrême gauche à l’extrême droite (...)

La mobilisation du corps enseignant contre la réforme des retraites, doublée de celle contre les « E3C » s’est largement donnée à voir, dans les établissements, dans de multiples pétitions ou communiqués des organisations syndicales représentatives, et dans la rue en manifestation. Mais son traitement dans certains des rendez-vous audiovisuels les plus suivis pâtit des travers ordinaires que notre association ne cesse de documenter (...)