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Monique Pinçon-Charlot : « c’est la première secousse d’un séisme plus profond »
Voici la version écrite – intégrale – de l’entretien du 13 avril dernier avec Monique Pinçon-Charlot, sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS.
Article mis en ligne le 2 mai 2020
dernière modification le 1er mai 2020

Vieux amis de Là-bas, les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot auront passé leur vie à mettre leur savoir au service du contre-pouvoir. Pas n’importe lequel, celui des jetables contre les notables.

Pour eux, ce que nous vivons aujourd’hui, c’est un « virus de classe », la première secousse d’un séisme plus profond, c’est aussi un rendez-vous historique. Mais pour finir, ils s’interrogent sur la portée de leur engagement et nous incitent à dépasser le confortable « marché de la contestation sociale ». Des mots lucides et rares : « le capitalisme nous donne des miettes en reconnaissance de tout le travail que nous faisons pour dévoiler leurs turpitudes, leurs corruptions, leurs fraudes en tous genres, car cela contribue paradoxalement à les aider à affiner leur asservissement et à engranger toujours plus de profits. Il y a une sorte de marché de la contestation sociale. On se retrouve dans des fêtes ensemble, dans des entre-soi joyeux, on est contents de nous. Et finalement, on n’ose pas aller plus loin face à la violence des riches. ». (...)

pour moi, l’union sacrée n’existe pas dans la mesure où, dès son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a divisé, comme jamais, la société française en traitant les Français les plus démunis de rien, de fainéants, dans un mépris de classe incompatible avec la fonction présidentielle. Avec ses amis du Medef, Macron ne cesse de rappeler que les travailleurs ne sont que des coûts et des charges. Toujours le mot qui blesse pour ceux qui n’appartiennent pas à sa France des premiers de cordée, du coup nous l’avons rebaptisé le méprisant de la République !

De plus, il a donné – comme jamais aucun président de la République ne l’avait fait – des dizaines de milliards d’euros sans aucun contrôle, sous forme de cadeaux fiscaux, à ses camarades de classe – les riches – qui l’ont placé à l’Élysée ; méprisant les travailleurs et gavant d’argent les propriétaires des moyens de production, d’échanges et d’informations.

Donc, le grand diviseur, c’est lui, et maintenant il déclare, comme tu l’as dit, la guerre en effet, mais… contre un virus. Il a employé six fois cette expression, « nous sommes en guerre », pour que les Français n’entendent pas qu’en réalité, c’est une guerre dont il est le grand chef des armées, une guerre des riches contre le peuple de France, contre ceux qui aujourd’hui sont au front, contre tous les soignants, les éboueurs ou les travailleurs des chantiers qui doivent continuer à bâtir, à s’exposer et à mettre leur vie en danger.

Daniel Mermet — Tu es un peu dure quand même avec tes amis les riches, parce qu’ils se montrent très généreux. Ils font assaut de dons, de fonds, ils donnent beaucoup d’eux-mêmes. Ils fabriquent des masques, des liquides pour l’hygiène, etc. Ils s’étaient déjà montrés très généreux au moment de l’incendie de Notre-Dame. Et, comme disent les gens : ils ne sont pas obligés ! Mais même ça, ça ne te satisfait pas ?

Monique Pinçon-Charlot — Pas du tout, pour deux raisons. La première, c’est que la seule chose qu’on leur demande, c’est de payer leurs impôts, d’arrêter de planquer leur argent dans les paradis fiscaux, de refuser de contribuer à la solidarité nationale. La note est extrêmement lourde pour les contribuables français, soit 100 milliards d’euros qui, chaque année, manquent dans les caisses de l’État.

Je pourrais encore rajouter une autre enveloppe de 100 milliards d’euros qui manquent dans les caisses de l’État avec les niches fiscales qui profitent massivement aux plus riches.. (...)

La seule et unique cause de cette pandémie, c’est véritablement le pillage par les capitalistes de la nature, avec la déforestation, la bétonisation, l’urbanisation intensive, la pollution, et tout ce qui relève du « réchauffement climatique », ou plutôt du « dérèglement climatique ». Le capitalisme a toujours exploité l’être humain en lui volant sa force de travail et en ne la payant pas à sa juste valeur ; et simultanément il a exploité le monde animal et le monde végétal.

Aujourd’hui, il n’y a donc plus de frontière biologique entre les virus, notamment de la faune sauvage, et les humains. On est face à ces nouvelles maladies que les écologues appellent des zoonoses, que sont le SIDA avec les primates, le SRAS (dû à une autre forme de coronavirus), et avec ce COVID-19 qui est une forme extrêmement pathogène pour l’humain, à cause d’un virus qui arrive tout droit d’une chauve-souris. Donc c’est le capitalisme, ce sont les capitalistes qui portent l’entière responsabilité de cette pandémie qui nous vaut ce confinement et cet entretien par téléphone ! N’ayons pas peur des mots pour désigner les maux ! (...)

Aujourd’hui, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que c’est la première secousse d’un séisme qui va avoir des répliques très nombreuses. C’est-à-dire que là, on ne doit pas se placer dans la posture : « et le jour d’après ? ». On doit se placer dans une posture anticapitaliste sur très long terme pour sauver la planète et l’humanité dans son intégralité. Et là, nous pouvons constater qu’avec le confinement, les moins protégés sont les plus pauvres, et ceux qui sont obligés de travailler. Et comme par hasard, en France, il n’y a ni masques ni tests. Ça n’est pas fait exprès ? D’où ça sort, toutes ces lacunes, comment c’est possible ? Ils devront rendre des comptes, parce que ces erreurs, ces lacunes sont en réalité criminelles, elles ont en tout cas des conséquences criminelles. . (...)

les manipulations seront encore au rendez-vous des médias de ses amis milliardaires, quand il faudra à la sortie du déconfinement camoufler un tel camouflet ! Avec, par exemple, l’annonce de partenariats public-privé. Donc avec le mot « public », les gens vont croire que c’est bon. La revendication de l’innovation, avec un grand coup de pouce à la « santé numérique », fera chic, alors que c’est le processus de la déshumanisation du rapport entre le malade et le médecin qui se détériorera encore un peu plus.

Enfin, les hôpitaux publics et les établissements de santé publics non lucratifs seront présentés comme si c’était la même logique. Les gens ne verront pas la différence entre les mutuelles, les fondations qui font du fric et les hôpitaux publics. On va donc se retrouver face à une offensive idéologique et linguistique de grande envergure. Pourquoi le directeur de l’Agence régionale de santé du Grand Est a-t-il été limogé ? Parce qu’il a osé dire ce qu’il savait. C’est-à-dire qu’il allait y avoir 174 lits supprimés dans le Grand Est dès le mois de juin, et 598 postes supprimés. (...)

La stratégie du choc, c’est de profiter d’une pandémie dangereuse pour faire peur, sidérer la population avec des injonctions contradictoires afin de museler la possibilité de critiquer le président de la République. Pourquoi ? Pour précisément faire ce dont tu as parlé tout à l’heure : permettre au système capitaliste dans sa phase néolibérale de transformer cette pandémie en une aubaine pour faire rebondir un système capitaliste aujourd’hui à la peine. (...)

Il faut absolument créer à l’issue du confinement un rapport de force favorable au monde de ceux qui travaillent, et il faut vraiment que vos auditeurs et tous les Français comprennent que nous sommes à un rendez-vous historique de l’humanité. Le Covid-19 est la première secousse d’un séisme mondialisé, dû au pillage de la nature, qui va nous faire vivre de pandémie en pandémie, de catastrophe climatique en catastrophe climatique.

Je donne un autre exemple de ce qui va advenir : les glaciers ont fondu, maintenant on en est à la décongélation du pergélisol. C’est un magma qui est congelé depuis plus de 30 000 ans, où on trouve plein d’animaux préhistoriques. Ce pergélisol ressemble à du ciment. Et c’est une bombe. Il y a des virus qui vont ressortir, et surtout, dans le pergélisol, tenez-vous bien, il y a deux fois autant de gaz à effet de serre qu’il y en a aujourd’hui sur la planète. C’est donc une bombe à retardement ! (...)

Tout ce que je dis aussi est complètement validé. Il y a mille chercheurs qui ont appelé à la désobéissance civile au mois de février. C’est un truc inouï : mille chercheurs, confrontés aux problèmes de l’écologie, de la climatologie, de la vulcanologie, à tous ces problèmes liés au dérèglement climatique, appellent à la désobéissance civile : allez rejoindre Alternatiba, allez rejoindre Attac, faites de la désobéissance civile, pour qu’enfin ils fassent leur travail pour tenter de sauver le climat ! C’est énorme ! . (...)

On n’arrive pas, par exemple, à généraliser la désobéissance civile en appelant le plus grand nombre à se mobiliser. En effet, pour que cette désobéissance civile soit non-violente, il faut qu’on soit très nombreux. Nous n’avons pas à être violents, parce que la violence, elle est du côté des riches qui nous volent nos vies pour engranger des profits financiers. Je pense que la non-violence est parfaitement jouable car le peuple représente beaucoup de monde et c’est lui, comme nous le constatons en cette période de confinement, qui assure le fonctionnement de l’économie réelle.

Donc nous devrions tous ensemble, après le confinement, envahir l’espace public qui nous a été interdit, et faire preuve d’imagination. Je sais qu’il y a déjà beaucoup de choses qui se passent au niveau des partis, des syndicats et des associations. Il faut que toutes les luttes convergent avec une grande visibilité dans les espaces publics, y compris dans les beaux quartiers !

On ne peut pas attendre chacun chez soi avec nos petites pétitions, à continuer comme avant. Ça, ce n’est plus possible.