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Monique Pinçon-Charlot : « mais où est passé le monde de demain ? »
Article mis en ligne le 6 novembre 2020

C’est reparti pour un tour. Le « monde d’après », c’est pas pour tout de suite tout de suite. Depuis quelques jours, la France (comme d’autres) fait face à une nouvelle « confinerie ».

Pour Monique Pinçon-Charlot, sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS et amie de Là-bas de longue date, « on est entrés là dans une phase de violence terrible, mais qui est toujours ouatée, toujours minimisée, parce qu’il ne faut surtout pas que les gens comprennent la réalité de ce qui va advenir ». Alors comment faire face ? Comment hurler avec un masque ? Avant tout, analyser les échecs passés et avoir le « courage de sortir du confort moelleux et de la bonne conscience de ce marché de la contestation sociale ». Voici la version écrite de cet entretien du 6 octobre dernier à lire à oreille reposée.

(...) je persiste et je signe plus fort que jamais : ça me paraît vraiment impossible de continuer sans, non pas changer nos méthodes de lutte, mais sans compléter nos méthodes de lutte. Toi, tu sais faire de belles émissions, nous on sait faire des livres, mais ensemble on peut partager de nouvelles activités. J’avais parlé de désobéissance civile non violente, de présence physique et sonore dans les beaux quartiers, au plus près des familles les plus riches et des lieux de pouvoir et de richesse. Et toutes ces choses ne doivent pas s’opposer.

Nous, avec Michel, finalement, ce qu’on a bien appris dans nos enquêtes sur l’oligarchie, c’est qu’eux ne se prennent pas la tête à créer des faux débats, à opposer des choses qui n’ont pas à être opposées.

Daniel Mermet — Je voudrais que tu développes un peu ton expression de « marché de la contestation sociale » qui m’avait accroché à l’époque. Il y a une chose que nous risquons les uns et les autres, tous ceux qui sont dans la contestation, dans l’opposition, dans la critique : c’est de moraliser le capitalisme, et au fond, d’une certaine façon, de le renforcer.

À quel moment est-ce qu’on peut considérer qu’on a une action, une position et un projet radical – non pas de le moraliser, de l’arranger, de l’améliorer, de dire qu’au fond un autre capitalisme est possible, mais de proposer une alternative, de lutter pour une alternative, sans d’ailleurs savoir exactement à quoi ça peut ressembler ?

Monique Pinçon-Charlot — C’est justement ça le problème, on est incapables de s’unir autour d’une alternative. Ma posture est profondément anticapitaliste. Je sais que ça ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Mais même les issues de secours qu’on pourrait éventuellement voir ici et là, pour moi, ils les ont déjà bouchées.

Le côté entier et catégorique de mes convictions s’explique par notre connaissance de cette classe sociale de type oligarchique, par la connaissance intime de ces capitalistes avec lesquels nous avons partagé des repas (...)

Nous avons commencé à travailler sur cette classe en 1986 et aujourd’hui, plus de trente ans après, le système capitaliste a complètement évolué. Il a rebondi dans une violence de classe inouïe avec le néolibéralisme, il s’est totalement mondialisé. (...)

je refuse de parler d’une crise sanitaire, parce que ce n’est pas une crise sanitaire. C’est une crise du capitalisme. Comme toujours, la propagande néolibérale découpe le saucisson en tranches, pour ne pas qu’on puisse comprendre qu’en réalité, ce que Macron essaie de cacher, ce sont ses propres turpitudes, c’est sa politique. Donc on nous colle des masques, on nous empêche de parler. Mais tout est lié : c’est un fait social total auquel on assiste. Ce n’est même pas un champ de bataille, parce qu’on est vraiment aujourd’hui au cœur de la guerre de classes dont nous dévoilons les rouages, Michel et moi, avec beaucoup d’autres, depuis longtemps. On est entrés là dans une phase de violence terrible, mais qui est toujours ouatée, toujours minimisée, parce qu’il ne faut surtout pas que les gens comprennent la réalité de ce qui va advenir. (...)

Je pense qu’on peut faire beaucoup de choses, y compris avec des masques. C’est vrai qu’on est piégés dans la mesure où toi, moi et beaucoup de militants nous sommes tous respectueux des Français qui ont peur, parce que les ondes des médias des milliardaires ont, à longueur de journée, transmis une peur incroyable d’un virus (qui pour l’instant n’a pas fait plus de morts que la grippe, il faut quand même garder la tête froide). Mais bientôt, je pense que les médecins vont peut-être avoir le courage de parler. Certains osent, mais pas beaucoup.

Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut bien retenir, c’est qu’avec la décongélation du pergélisol, il y a des virus, et des virus, et des virus qui vont devenir notre quotidien. C’est une catastrophe. Ce sont les capitalistes seuls qui sont responsables de ce qui va advenir avec tous ces virus lâchés dans la nature, après avoir été congelés pendant plus de 10 000 ans, tout comme le méthane et une quantité de CO₂ deux fois supérieure à ce qu’il y a aujourd’hui sur la planète. Les hydrologues et tous les spécialistes du pergélisol disent qu’on est face à une boucle rétroactive : c’est-à-dire que plus le pergélisol se décongèle, plus la pollution, plus le dérèglement climatique s’emballent. On est dans un système de bombe que même les algorithmes ne peuvent pas maîtriser. (...)

Les alternatives ne vont pas tomber du ciel, ça se fait dans le partage, dans le collectivisme. Personne n’a la science infuse.

On a des directions, on sait que l’autogestion ouvrière, c’est très bien, ainsi que le partage, la solidarité. On sait que les divisions de la démocratie représentative, notre Constitution, on n’en veut plus. Moi je ne veux plus participer à l’agenda néolibéral de cette démocratie représentative. Avec un vote blanc qui n’est même pas reconnu dans les suffrages exprimés. Avec des instituts de sondage qui sont la propriété des milliardaires, tout comme les médias. Avec une propagande absolument inouïe qu’on subit – propagande relayée aujourd’hui sur Facebook, sur Twitter. Sur Internet, il y a des algorithmes capables d’orienter les électeurs vers tel ou tel Macron, sans en avoir l’air, quand on tapote sur sa tablette. Aujourd’hui, on a atteint un niveau d’esclavagisation de nos pauvres cerveaux qui est inouï. Face à cela, moi je ne suis rien.

La seule chose que je sais, c’est qu’il n’y aura plus de Mélenchon ou de remplaçant de Mélenchon possible car il faut qu’on soit véritablement unis. Il y a des expériences intéressantes qui se sont passées aux municipales. Et en tout cas, au dehors, nous devons contester la démocratie représentative telle qu’elle existe aujourd’hui. Il y a beaucoup de choses qui se passent mais qui ne sont pas relayées. (...)

Aujourd’hui, on ne peut pas comprendre que la gauche continue à fonctionner comme si de rien n’était. C’est à cela qu’il faut s’attacher aujourd’hui. Les propositions que nous faisons, Michel et moi, concernent précisément – sans que ce soit la revendication principale ou la modalité d’action principale – une omniprésence visible dans tous les beaux quartiers de France (que ce soit à Troyes, Lille, Paris, Toulouse, Annecy…). On est parfaitement capables de s’organiser avec les réseaux sociaux, avec Internet. On n’a pas de problème avec ça et on ne le fait pas. (...)