
La démocratie est grandement affaiblie par les groupes d’intérêts privés, les lobbies. Dans une lettre ouverte au président de la République, les auteurs de cette tribune proposent des pistes juridiques et une plus grande intervention des citoyens dans les décisions concernant le bien commun.
Monsieur le Président,
À l’époque du New-Deal aux États-Unis, le président Roosevelt était parti en chasse contre ce qu’il appelait « l’argent organisé » pour désigner l’alliance des nantis contre le bien commun. La démocratie représentative est aujourd’hui clairement entre les mains de lobbies répondant à cette définition d’argent organisé contre l’intérêt général. L’épidémie de conflits d’intérêts et des scandales de corruption participe à la contamination du « tous pourris » qui fait le lit du Front national.
Vous-même d’ailleurs, pendant la campagne présidentielle, avez été victime de cette porosité avec le monde des multinationales en ayant dû évincer précipitamment votre conseiller santé, M. Jean-Jacques Mourad, après avoir appris qu’il avait bénéficié de dizaines de contrats de prestations par le laboratoire Servier, à l’origine du scandale du Mediator.
Dans notre société du risque, l’éthique de responsabilité et le sens de l’intérêt général des dirigeants ont disparu du fait, bien souvent, de la dépossession des acteurs publics par les lobbies, dont la conduite est dictée par la défense de leurs seuls intérêts privés.
L’armée secrète des lobbies nous mène une guerre que nous ne voulons voir. Une guerre contre l’intérêt général. Une guerre pour la dictature de l’argent roi, pour la dérégulation des marchés, la déréglementation… Il est temps de désarmer ceux qui procèdent à la capture de nos institutions : la finance, les Bayer-Monsanto et autres mastodontes de la chimie, de la pharmacie, de l’agroalimentaire…
Construire un mur étanche entre intérêts privés et décision publique (...)
La clé de voûte des lobbies est le contrôle de l’appareil d’État et des autorités régulatrices. Or, l’argent facile des grands lobbies industriels inonde les experts des agences censés garantir la sécurité des consommateurs, les politiques impliqués dans le secteur concerné et la haute administration. Ces relations se nouent dans l’anonymat et le secret. (...)
C’est le règne des trois « D » : l’industrie décide ; elle désinforme en payant de la contre-expertise pour semer le doute quand des risques ou des scandales sanitaires sont révélés ; et enfin, elle diffère, avec la complicité des pouvoirs publics, en arguant qu’il faut réaliser de nouvelles études (c’est le cas de la Commission européenne par rapport aux perturbateurs endocriniens). (...)
comme l’écrivait le philosophe Alain, « la démocratie, c’est l’exercice du contrôle des gouvernés sur les gouvernants. Non pas une fois tous les cinq ans ni tous les ans, mais tous les jours ».
Puisse ce renforcement de la démocratie et de la transparence face à l’opacité et au règne des puissances de l’argent se produire, Monsieur le Président, pour réhabiliter la chose publique et vaincre la défiance des citoyens envers leurs dirigeants.