
Le Président de la République Bolivarienne du Venezuela, Hugo Chávez, est mort le 5 mars : cela n’aura échappé à personne. Cette disparition a naturellement engendré son concert d’articles nécrologiques, concert qui nous a rappelé à quel point notre presse est un joyau national. Elle nous a en effet offert, et ce quel que soit le journal, la même analyse d’une finesse sans égal : Chávez, un dictateur et un incompétent. Seul le quotidien l’Humanité vient troubler ce consensus en mettant plutôt en avant la révolution bolivarienne qu’a impulsée Chávez en Amérique du Sud ainsi que ses nombreuses avancées sociales ou la réappropriation de la rente pétrolière par le peuple : sans doute le journal de Jaurès suit-il, comme au bon vieux temps de l’URSS, la ligne du Parti dans sa défense d’un dangereux dictateur...
(...) De 1999 à 2011 : l’analphabétisme est passé de 9,1% à 4,9%, la mortalité infantile de 19,15% à 13,95%, la proportion de personnes sous le seuil de pauvreté est passée de la moitié à moins du quart, la pauvreté extrême a été divisée par deux, la dette publique est passée de 30% à 14% du PIB tandis que le nombre de bénéficiaires d’allocations étaient multipliés par 4, et le Venezuela est devenu le pays le moins inégalitaire d’Amérique du Sud selon l’indice Gini. Cette liste pourrait continuer encore longtemps, mais la pertinence de la presse française dans son bilan bilan très négatif de l’oeuvre de Chávez est déjà largement confortée, on n’en doute pas.
Quant au caractère quasi-dictatorial du Commandante, on rappellera qu’en 2002 il avait subit un putsch militaire, et avait dû son retour au pouvoir au peuple : il est de notoriété publique qu’un chef chassé par l’armée et rappelé par le peuple ne peut être qu’un dirigeant autoritaire... Une fois de plus, la grande érudition de nos médiacrates nous offre la chance d’avoir accès à une analyse des plus exactes, fines et pointilleuses. (...)
il est évident que Chávez n’est pas le démon qu’en font la majorité des médias, et ce même si son bilan a ses points noirs, comme l’échec de la lutte contre l’insécurité, la dépendance économique à l’égard de la rente pétrolière ou certaines positions en politique extérieure avec notamment le soutien plus que contestable à l’Iran .
Mais alors, pourquoi est-il érigé en « contre-modèle » par la quasi-totalite de nos médias ?
L’explication est simple, pour peu qu’on veuille vraiment trouver la réponse : il suffit en effet de regarder qui possède ces médias. Et ce n’est pas verser dans la théorie du complot que de rappeler que
– TF1 appartient au groupe Bouygues,
– Le Figaro au groupe Dassault, Europe 1 au groupe Lagardère ou
– Le Point au groupe Pinault-Printemps-La Redoute
– ( et la liste est encore très longue )
et d’imaginer que, comme l’a d’ailleurs déclaré l’une des pointures de notre journalisme qu’est Laurent Joffrin lors de l’émission d’Elisabeth Lévy « Le premier pouvoir » sur France Culture, le 2 octobre 2004 : « il est logique que le propriétaire fixe une orientation ». Et on voit mal cette orientation aller à l’encontre des intérêts du propriétaire.
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les propriétaires de médias disposent de leviers politiques évidents : une situation éminement corruptrice. (...)
Or Chávez et sa politique anti-libérale ( nationalisations, droit du travail protecteur, prestations sociales, etc ) ne plaisaient pas du tout à ces multinationales propriétaires de nos médias.
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Ainsi, la mort de Chávez fut un énième révélateur d’un des grands maux dont souffre le journalisme français : la possession des médias par des multinationales.
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la nécessité de la séparation entre argent et journalisme fut une des grandes idées des Résistants lorsqu’ils se mirent à penser à l’après-guerre : aussi le programme du CNR prévoyait-il d’assurer « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères. ».
Un point de plus sur lequel ce programme reste malheureusement d’actualité...