Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Quartiers XXI
Mort de Pierre-Eliott Zighem : la révolte gronde à Tourcoing
Article mis en ligne le 10 juin 2015

Dans la nuit du 30 mai au 1er juin 2015, Pierre-Eliott Zighem, 18 ans, décède à la suite d’une course-poursuite avec la police. Le conducteur tombe dans le coma et un autre passager est grièvement blessé à la jambe.

Une semaine après les faits, les doutes persistent sur les conditions de l’accident. La voiture qui s’est violemment encastrée dans un arbre a-t-elle été « pare-choquée » par le véhicule de police ? La méfiance vis-à-vis de la version policière, les interventions violentes des CRS et les conflits latents avec les autorités locales nourrissent une tension sociale et politique encore palpable aujourd’hui. Enquête dans la cité de La Bourgogne.(...)

Mardi 2 juin, la presse annonce des « violences » dans la cité de La Bourgogne à Tourcoing, ville de la banlieue lilloise. Selon l’article du Monde du 7 juin, « tout a commencé dans la nuit du dimanche 31 au lundi 1er juin : une Peugeot 106 grille plusieurs feux rouges, la police nationale tente de les interpeller, le conducteur refuse de s’arrêter et la voiture termine sa course dans un arbre, au détour d’un virage. À son bord trois jeunes. Le passager à l’avant, Pierre-Eliott Zighem, 18 ans, meurt dans l’accident. Le conducteur est dans le coma. Le troisième est blessé à la jambe » [1]. Dès l’annonce de la mort de Pierre-Eliott Zighem et des blessures graves de ses deux amis, les familles et les habitants du quartier de la Bourgogne ont du mal à croire la version officielle diffusée par les services de police et le procureur de la République.
« Mais qu’est-ce qu’on a fait ? »

Mercredi 3 juin, à l’issue d’une marche silencieuse organisée par les jeunes du quartier et Farid Zighem, le père de Pierre-Eliott, ce dernier déclare devant l’Hôtel de Ville : « L’unité est importante dans ces moments difficiles. À ce jour, on ne sait pas ce qui s’est passé lundi soir. Il y a une chape de plomb sur cette affaire. La révolte dans les quartiers est la suite logique car nous n’avons aucune information. Je n’ai rien contre la police nationale, mais la poursuite de lundi a engendré la perte d’une vie. Je veux que toute la lumière soit faite sur cette affaire. C’est pourquoi j’ai décidé de déposer plainte auprès du procureur de la République. »

Comme dans beaucoup d’autres cas où des jeunes habitants des quartiers populaires meurent, dans des conditions douteuses, suite à une altercation ou une course-poursuite avec les forces de police, les familles et les habitants demandent la vérité et la justice.(...)

le doute demeure quant à l’issue de cette course-poursuite. En effet, lorsque l’on refait le chemin en voiture, en accélérant un peu, notre véhicule qui prend le virage à droite est déporté sur sa gauche en raison de la force centrifuge. Or, l’arbre contre lequel s’est heurté la 106 se situe juste quelques mètres sur la droite après ce virage, ce qui correspond à un virage très serré sur sa droite et ne coïncide guère avec la trajectoire « naturelle » d’une voiture en pleine accélération.(...)

Une question demeure : comment la voiture s’est retrouvée soudainement déviée de sa trajectoire avant de frapper l’arbre ? Y a-t-il eu un « pare-chocage » ? Alors que les autorités policières et politiques écartent très rapidement cette piste, cette première tentative de reconstitution et les déclarations des habitants connaissant la route invitent à prendre cette hypothèse au sérieux. Un témoin résidant juste en face du lieu de l’accident dit être allé à sa fenêtre à l’instant où le bruit l’a réveillé. Il aurait alors tout de suite aperçu la voiture de police arrêtée à proximité de la 106 accidentée, et trois policiers braquant leur arme sur ses passagers. Il aurait ensuite vu l’un des policiers porter les premiers soins de survie à l’un des trois passagers en attendant les secours, tandis qu’un autre se tenait la tête avec ses mains et s’exclamant : « Mais qu’est-ce qu’on a fait ?! » (...)

La nouvelle de l’accident se répand rapidement et, dès le lundi 1er juin en fin d’après-midi, les habitants de La Bourgogne voient arriver des cars de CRS aux abords de la cité. Plusieurs résidents subissent des contrôles d’identité. Telle est la réponse des autorités au drame de la nuit passée. Les habitants rapportent des provocations de la part des agents des forces de l’ordre(...)
Dans la soirée, un cordon de CRS tente une première entrée dans la cité, près d’un petit stade où sont rassemblés quelques jeunes. Perçue comme la provocation de trop, certains leur bloquent le passage en incendiant des voitures et des poubelles. Les affrontements se poursuivent une partie de la nuit dans la cité entre les CRS et les jeunes.(...)

Lors de la marche silencieuse du mercredi 3 juin, des membres du collectif Urgence notre police assassine se rendent sur place pour soutenir les familles. Les manifestants défileront derrière une banderole « Pas de justice, pas de paix ». Lors de son discours à la fin de cette marche, Farid Zighem déclarera que même s’il condamne et refuse les violences, il les comprend. Du lundi au vendredi, les habitants de la cité sont encadrés par un impressionnant dispositif policier comme ils n’en avaient jamais vécu auparavant. (...)

La nuit, un hélicoptère survole tout le quartier, empêchant les habitants de dormir. Du gaz lacrymogène pénètre dans plusieurs appartements. Les résidents rapportent la violence des charges policières. Un homme en fauteuil roulant aurait été sommé de circuler à coups de matraques. De jour comme de nuit, les CRS auraient aussi hurlé sur les quidams se trouvant sur leur passage. Des propos tels que : « On va vous faire aller au pas les bougnoules » auraient été proférés.(...)

une nouvelle apprise durant les affrontements alimente la colère et le sentiment d’abandon des habitants. Trois commerçants situés sur la place de La Bourgogne, le cœur du quartier, ont reçu une lettre leur annonçant qu’ils devaient mettre la clé sous la porte d’ici le 30 juin en raison d’un « bail précaire ». Tour à tour, les élus se renvoient la balle sur la responsabilité de cette expulsion, et leurs administrés assistent pendant plus de la moitié de la réunion à un affrontement de politiciens, ce qui en fera fuir plusieurs. Pour les commerçants, la fermeture des boutiques est reçue comme un coup de massue.(...)

Chacun s’interroge : « On va faire quoi ? On va tenir les murs ? On va rester chacun dans son coin ? On va finir par ne plus se parler et ça va être de pire en pire ! »

Des résidents rapportent que le nouveau maire maire Gérard Darmanin avait annoncé durant la campagne électorale en 2014 que, s’il était élu, il fermerait les commerces. Ainsi, comme le dira le représentant de la mosquée durant la réunion, les habitants ont « le sentiment d’être punis », tant par la fermeture de ces locaux que par les interventions policières des derniers jours. (...)

D’année en année, les résidents de La Bourgogne voient les boutiques et les lieux d’activités sociales et de jeunesse fermer l’un après l’autre. Sur la place du marché, des anciens locaux qui ont pris feu il y a deux ans sont laissés à l’abandon, à ciel ouvert. Pour les habitants, ces rébellions et la situation de crise des derniers jours sont aussi l’occasion d’exprimer leur colère qui prend place dans des conflits sociaux et politiques locaux latents.