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Nathalie Heinich, experte médiatique en Bourdieuphobie
Article mis en ligne le 29 mai 2021

Le 4 septembre 2015, France Culture proposait une journée spéciale intitulée « Toutes les idées sont en débat sur France Culture ». À 7h41, pour commencer par le commencement, une question dénuée de sens était proposée aux « invités des Matins » : « À quoi pensent les intellectuels ? » [1]. Et pour résoudre cette énigme, France Culture s’est adressé notamment à Nathalie Heinich, sociologue, présentée à l’antenne comme l’auteure de Pourquoi Bourdieu ?, avec cette plaisante précision du présentateur Guillaume Erner, lui-même sociologue de formation : « Bourdieu, l’une des dernières figures de l’intellectuel engagé, également universitaire » [2].

France Culture ayant déjà salué le chef d’œuvre de Nathalie Heinich (comme nous l’avions relevé ici-même), on pouvait craindre le pire… et se demander, en l’occurrence, à quoi sert France Culture.

Pourquoi Heinich ?

Une fois achevée la présentation des invités, Guillaume Erner ajoute : « Mais tout d’abord, écoutons la voix de Pierre Bourdieu ». Les auditeurs ne sauront rien de l’origine de ce court extrait issu des rushes préparatoires du documentaire de Pierre Carles consacré à Pierre Bourdieu : La sociologie est un sport de combat. Sur le mode d’une conversation personnelle et sans apprêt, Bourdieu évoque les quelques règles, très raisonnables, qu’il s’efforce de suivre dans ses rapports avec les médias et, particulièrement la télévision : n’aller dans les médias que lorsqu’on a quelque chose à dire et quand on pense pouvoir être en mesure de la dire et le faire à certaines conditions, en particulier quand il s’agit du choix de ses interlocuteurs. (...)

Bourdieu :

Je n’ai pas dit que j’irais jamais à la télé. J’essaie d’y aller que quand j’ai quelque chose à dire et que je pense que j’ai des chances de pouvoir le dire ; et parfois je me trompe ; je surestime mes chances de pouvoir dire quelque chose parce que je n’ai pas le talent qu’il faudrait pour pouvoir me débrouiller dans la situation, soit parce que les conditions sont très difficiles et que personne ne veut m’entendre. Donc j’y vais très peu mais le principe c’est quand même de n’y aller que quand je peux dire ce que je veux. Alors l’émission que j’ai faite sur la télévision, c’est l’émission ou j’étais tout seul devant la caméra, personne m’emmerdait, personne ne me posait des questions. Bon, ce n’est pas pour moi l’idéal de la télévision. J’aimerais mieux avoir une discussion avec un type… si on me demande d’aller parler demain avec un type comme Chomsky, bien sûr ça m’intéresse, d’ailleurs je vais le faire, mais discuter avec quelqu’un comme Bernard-Henri Lévy, j’ai aucune envie. Je sais d’avance ce qu’il va dire et d’ailleurs ça lui ferait tellement d’honneur. Il en tomberait malade si je lui disais « oui ». Il m’a supplié cent fois. Ça aussi, c’est une des raisons pour lesquelles je refuse de parler avec certaines personnes, c’est que toute leur vie (rires) ils diraient « j’ai parlé avec Bourdieu ».

Cet extrait sert de prétexte à la question suivante qui est d’autant plus pertinente… qu’elle n’a aucun rapport avec ce que l’on vient d’entendre et de lire : « Voilà Nathalie Heinich, vous êtes maintenant prise au piège de la radio. Vous êtes obligée de nous dire ce que vous inspirent à la fois le personnage de Pierre Bourdieu et ses prises de positions politiques. »

Ainsi Nathalie Heinich est « obligée » de dire ce qu’elle dit un peu partout, même quand personne ne le lui demande, non seulement sur le sociologue (dont elle ne pense pas grand bien), mais surtout sur son « personnage » (dont elle pense beaucoup de mal) et sur ses prises de positions politiques (dont elle pense pis que pendre). Tout cela sous le titre « À quoi pensent les intellectuels ? ».

Et Nathalie Heinich, une fois encore, ne va pas décevoir. (...)

Petite tambouille : on « invite » donc un mort encore vivant, on trouve une séquence dans laquelle il parle des médias, sujet hautement polémique, et, pour lui donner la réplique et entretenir la polémique, on invite une spécialiste des vindictes contre Bourdieu. Il suffit alors de demander à celle-ci, non pas ce qu’elle pense des propos tenus dans l’extrait choisi, si elle est ou non d’accord, mais de « réagir » à la voix par des commentaires… hors de propos. Et le tour est joué.

Somme toute, démonstration est faite, mais à ses dépens, que Nathalie Heinich a raison lorsqu’elle déplore que les médias fassent appel à certains intellectuels « pas tellement en raison de leur compétence sur un sujet précis mais simplement parce qu’ils ont un [petit] capital de notoriété ».