
Les enseignants travaillent et trouvent des solutions
En lisant beaucoup de ce qui paraît sur la manière dont les enseignants investissent leur métier dans le contexte actuel, je suis frappé de la manière dont nombre d’entre eux trouvent des solutions à des problèmes complexes posés par cette situation inédite.
Je suis en particulier impressionné par les trésors d’intelligence humaine et professionnelle qui permettent d’abord de garder le lien avec les familles sans les culpabiliser, de garder le lien avec les élèves autour d’activités scolaires conduites dans des cadres familiaux souvent complexes qui sont compris des professionnels, de favoriser parfois des échanges entre élèves et d’adapter les types de travaux proposés aux élèves du fait qu’ils ne bénéficient pas du guidage que permet la classe au quotidien.
Ainsi de ces professeurs de lycées qui doivent réécrire leurs cours pour les rendre plus explicites afin de pouvoir espérer être compris par des élèves moins habitués à lire qu’à écouter et à interagir. Ainsi de ces professeurs des écoles et collèges qui repensent leurs exercices pour s’appuyer sur ce que l’on a déjà fait en classe en évitant d’introduire des notions nouvelles qui seraient inaccessibles au plus grand nombre (Il est notable que les syndicats d’enseignants viennent de dire l’importance de cette perspective pour l’égalité.) Ainsi de tous ces enseignants qui multiplient les moyens de communication pour toucher le plus grand nombre.
Vous trouverez une veille particulièrement riche sur le site de l’ OZP qui porte tant sur les pratiques mises en œuvre que sur les réflexions nombreuses sur ces sujets. (...)
Les enseignants sont confrontés à des difficultés principalement sociales(...)
contrairement à l’idée simpliste du ministre qui voit presque une chance dans le confinement pour l’individualisation des réponses pédagogiques dont on sait qu’il est un important fanatique de longue date.(...)
L’autorité cherche à confisquer le récit de cette période
Il est très intéressant de voir, dans la presse, comment en ce moment, face aux critiques, soit on essaye de les faire taire au nom d’une union nationale voire d’une « union sacrée », soit on s’efforce à y substituer des discours alternatifs que l’on peut qualifier d’autres récits « on ne peut pas laisser dire cela… », c’est donc cela qu’il faut dire et gare à ceux qui diraient autre chose. (...)
on a vu très vite que les serveurs qui devaient permettre une merveilleuse continuité pédagogique numérique n’étaient pas en mesure de répondre au besoin et que le ministère tardait à proposer des pistes acceptables de travail en restant à la surface des choses sans aucune réflexion de fond sur ce qui change dans le processus d’enseignement quand on passe d’un travail en classe à un travail avec des individus isolés vivant dans des contextes très divers.(...)
Heureusement qu’il y a aujourd’hui les syndicats ou le GFEN, ou les équipes sur le terrain pour y réfléchir, face au vide de la pensée institutionnelle. (...)
Le second récit que l’on cherche à nous imposer c’est « tout fonctionne, la continuité pédagogique est en place ».
Comme d’habitude le ministre s’adresse à l’opinion publique et pas aux enseignants auxquels il n’a rien à dire. Le problème c’est que quand il n’y a plus l’école, quand les enfants ne sont plus rassemblés dans les classes, la question de l’existence même du pédagogique est posée. Parce que contrairement à l’image simpliste des apprentissages que porte le ministre, il ne suffit pas de lire, de faire des exercices pour apprendre.(...)
Il n’est pas acceptable de faire croire à une prétendue continuité. C’est d’autre chose qu’il s’agit.(...)
Le récit du pouvoir s’adapte à l’évolution de ce qui se dit (...)
Et comme le ministre perçoit que le réel lui résiste puisque les enseignants, notamment de milieux populaires, disent leurs réelles difficultés professionnelles à maintenir l’activité d’apprentissage chez leurs élèves, il ajuste le propos, le récit évolue pour reprendre la main sur l’information et la communication, comme si seul le pouvoir avait le monopole de la vérité. Ainsi il vient d’énoncer « on a perdu 5 à 8% des élèves ». C’est le récit qu’il cherche à nous imposer (avec un chiffre cela fait plus vrai) quand on lui montre qu’à l’évidence il y a des écarts sociaux importants. (...)
Le pire est que la manière dont cela va être interprété, va parfois donner lieu à des attitudes autoritaires inefficaces et inadaptées : déjà certains, heureusement minoritaires, commencent à faire appeler les familles des « décrocheurs » pour menacer de sanctions ou prétendent constituer des listes pour après. (...)
L’autorité invente de fausses solutions
Évidemment, le ministre a des solutions aux problèmes. Comme il ne peut s’appuyer que sur ce qu’il a déjà fait puisqu’il ne prend pas l’avis des personnels qui pourraient avoir d’autres idées, il vient de réinventer l’eau tiède des stages de vacances « pour les élèves en difficulté » dont il est personnellement porteur depuis longtemps puisqu’il a commencé à les mettre en place, sans jamais les évaluer, quand il était recteur de Créteil. (...)
Gardons la mémoire et préparons la sortie de crise
Le plus souvent ce qui manque lors des sorties de crise c’est le détail du récit de la crise pour pouvoir y donner les bonnes réponses. Compte tenu des enjeux, il est essentiel que collectivement personnels, syndicats, personnes engagées et éclairées en matière éducative gardent la mémoire de ce qui se dit et se passe pour pouvoir, le moment venu, ressortir le réel vécu face aux récits mythiques que l’on prétendra nous imposer. (..)
A l’évidence il faudra un changement de politique et le mieux serait qu’un conseil national de la résistance aux faux récits et aux fausses solutions puisse porter les besoins de l’école publique au sortir de la crise. (...)