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Ne pas laisser suspendre des idées d’élèves par un gouvernement italien autoritaire
Article mis en ligne le 18 mai 2019

Dans une école secondaire de Palerme, pour la Journée de la mémoire, des élèves ont réalisé une vidéo comparant le présent au passé en se demandant quel était le sens d’une telle commémoration. L’extrême-droite a protesté. Quelques mois plus tard, après mise sous enquête, une enseignante a été suspendue 15 jours. Cette censure autoritaire est un non sens pour la démocratie et pour la pédagogie.

contexte de grande tension sur la question des exilés de la Méditerranée, la Sicile se trouvant bien sûr en première ligne sur cette problématique d’accueil et de refoulement qu’un ministre de l’Intérieur d’extrême-droite a profondément perturbée avec son décret sécurité, sa criminalisation des sauveteurs et ses tentatives constantes de fermer les ports à toute aide humanitaire.

Le document vidéo des élèves a été rendu public. Il peut bien sûr être discuté sur certains aspects, certaines imperfections (comme l’insertion d’une fausse une de La Repubblica sur les Roms), mais sans jamais oublier que c’est une production d’élèves du secondaire. Il met surtout côte à côte, en les faisant résonner dans un aller et retour entre hier et aujourd’hui, des faits tragiques du passé, autour des lois raciales promulguées par le fascisme italien, et des faits contemporains, eux aussi tragiques, qui concernent les exilés et les morts de la Méditerranée. Toutefois, la mise en relation de deux situations inacceptables n’y est jamais une assimilation. (...)

L’intelligence de ce travail transparaît dans sa conclusion qu’il nous faut citer intégralement et qui est très pertinente.

"Mais alors, célébrer une Journée de la mémoire, qu’est-ce que cela signifie ?", se demandent ces élèves.

"Cela signifie s’engager pour protester contre ce qui arrive aujourd’hui, et ne pas se laisser manipuler par une politique nationaliste et xénophobe qui risque de faire se répéter les erreurs d’hier", répondent-ils au terme de leur travail.

C’est là une belle conclusion dans laquelle la formule "qui risque de" a évidemment toute son importance. (...)

c’est la police qui a fini par débarquer dans la classe de l’enseignante qui a finalement été suspendue pour 15 jours. Elle est accusé d’avoir laissé ses élèves assimiler la politique raciale du fascisme à la politique de fermeture de Matteo Salvini à l’égard des exilés et rescapés de la Méditerranée. Or, non seulement cette accusation est sans fondement, mais elle occulte en plus toute reconnaissance de l’autonomie de pensée de ces élèves qui se sont aperçus eux-mêmes des problèmes que posait la politique nationaliste et xénophobe du gouvernement italien du point de vue des droits humains.

Parmi beaucoup d’autres réactions, un enseignant, Enrico Galiano, a protesté dans La Repubblica en soulignant que son travail "devrait consister à aider les élèves à se former leur propre vision du monde [et qu’il ne pourrait pas] accepter que la police criminelle vienne contrôler ce [qu’il fait]" (...)

Un mouvement de solidarité avec Rosa Maria Dell’Aria est en train de se développer et les sénatrices à vie Elena Cattaneo et Liliana Segre, qui est une ancienne déportée, rescapée d’Auschwitz-Birkenau, l’ont invitée au Sénat. Marquer sa solidarité envers cette enseignante et exiger que la sanction qu’elle subit soit levée est une exigence démocratique. Mais lors de la manifestation de soutien du 17 mai à Palerme, une pancarte était aussi exhibée qui affirmait que "les idées ne se suspendent pas". (...)

P.S. Dans un article publié le 18 mai 2019 par Il Manifesto, l’auteur et enseignant Christian Raimo affirme avec raison que "défendre Rosa Maria Dell’Aria revient à nous défendre nous-mêmes et notre Constitution, le principe de la division des pouvoirs et la protection de nos libertés fondamentales". Il dénonce l’action personnelle dans cette affaire du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini et rappelle un épisode honteux, celui d’un message sur Facebook de la sous-secrétaire aux Biens culturels Lucia Borgonzoni, membre de la Ligue (Lega) dont voici la teneur : "Si c’est vraiment arrivé, un tel enseignant devrait être chassé avec ignominie et interdit d’enseignement à vie. Qui en devait être informé l’a déjà été." Rien que ça !