
Cher M. Bolloré,
il paraît que vous avez renoncé à supprimer Les Guignols et je vous en remercie.
Voyez, l’humour, ça n’est pas fait pour faire plaisir, M. Bolloré. L’humour, ça dérange forcément un peu sinon, ça devient vite tiède comme un robinet de miel. Ça se répand d’ailleurs de plus en plus, l’humour, consensuel, inodore, sans couleur et sans saveur. Un humour qui ne dénonce rien ni personne, un humour qui a tellement peur d’aller trop loin qu’il ne mène nulle part. Il ne faut pas nous en vouloir, on a un peu peur, nous, les humoristes. On relit nos textes, on s’interroge, on édulcore : "Si tu dis ça, tu vas avoir les homos sur le dos… Je ne veux pas qu’on me traite d’antisémite… Ça ne fera pas plaisir aux handicapés… C’est pas un peu humiliant pour l’image de la femme ?"
C’est pour ça que beaucoup d’humoristes font des vannes sur les Roms, c’est pratique
les vannes sur les Roms et surtout, ça n’est pas du tout dangereux, ils n’ont pas d’argent pour porter plainte et on n’a encore jamais vu de Rom en colère vous menacer de mort. Les cathos aussi, on peut leur taper dessus à longueur de sketches, il ne se passe rien. C’est peut-être à cause du fameux "pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés".
Il y a de l’humour pour tous les goûts : l’humour acide, l’humour sucré, l’humour salé, l’humour vinaigré, l’humour gras… Là où vous avez raison, M. Bolloré, c’est que l’humour, ça n’est pas toujours drôle. En fait, c’est comme une recette de cuisine, on ne tombe pas juste à tous les coups. Si on manque de doigté dans les proportions, le plat peut vite devenir lourd à digérer ou laisser un goût amer, mais quand on déguste l’humour d’un grand chef, on peut être à la fois heureux et rassasié. (...)