
Il est l’un des plus grands intellectuels du monde, auteur prolifique et anarchiste autoproclamé. A 86 ans l‘âge ne semble pas le ralentir.
Il combat toute une série d’injustices, avec l’Occident en général dans sa ligne de mire.
Noam Chomsky nous as reçus dans son bureau à l’Institut de Technologie du Massachusetts.
Noam Chomsky :
Au niveau mondial, nous courons vers un précipice : nous ne pouvons que chuter dans l’abîme, ce qui réduit fortement nos chances d’une survie décente.
Isabelle Kumar, euronews :
De quel précipice s’agit-il ?
Noam Chomsky :
Il y en a deux en fait : le premier est environnemental. Une catastrophe écologique est imminente, et nous n’avons que trés peu de temps pour en la limiter. Nous n’allons pas dans le bon sens. L’autre date de 70 ans, c’est la menace d’une guerre nucléaire, qui est en fait toujours croissante. Si vous regardez bien ce dossier, c’est un miracle que nous ayons survécu. (...)
L’espèce humaine est vieille d’environ 100 000 ans, et elle est maintenant face à un tournant de son histoire . Cette espèce est dans une position où elle va bientôt décider, d’ici quelques générations, si l’expérimentation de la vie dite intelligente peut continuer, ou si nous sommes déterminés à la détruire. Les scientifiques reconnaissent que les combustibles fossiles doivent être laissés dans le sous- sol si nos petits-enfants veulent avoir des perspectives décentes. Mais les structures institutionnelles de notre société font pression pour essayer d’extraire la moindre goutte. Les effets, les conséquences humaines prévisibles du changement climatique dans un avenir proche, sont catastrophiques et nous courons vers ce précipice.
Isabelle Kumar, euronews :
En termes de guerre nucléaire, nous savons tous maintenant que l’Iran a conclu un accord préliminaire . Est-ce que cela ne vous donne pas une lueur d’espoir que le monde pourrait être un endroit plus sûr ?
Noam Chomsky :
Je suis pour les négociations avec l’Iran, mais ces discussions sont profondément viciées. Il y a deux états au Moyen-Orient qui multiplient des agressions, de la violence, des actes terroristes, des actes illégaux, en permanence. Ils sont tous les deux des États très puissants, dotés d’armes nucléaires et de tout un armerment . Et leurs armes nucléaires ne sont pas prises en compte.
Isabelle Kumar, euronews :
A qui faites-vous allusion ?
Noam Chomsky :
Les Etats-Unis et Israël. Les deux états nucléaires majeurs dans le monde. Je veux dire qu’il y a une raison pourquoi, dans les sondages internationaux, gérés par des instituts de sondages américains, les États-Unis sont considérés comme la plus grande menace à la paix mondiale, par une majorité écrasante. Il est assez intéressant que les médias américains aient refusé de publier cela. (...)
Les États-Unis mènent en permanence des actions qui sont dangereuses pour Israël, très sérieusement. Tout en faisant croire qu’ils soutiennent la politique israélienne. Dans les 40 dernières années, la plus grande menace pour Israël a été sa propre politique. Si vous regardez en arrière, en 1970 , Israël a été l’un des pays les plus respectés et les plus admirés dans le monde. Il y avait beaucoup d’attitudes favorables. Il est maintenant l’un des pays les plus détestés et craints dans le monde. Au début des années 70, Israël a pris une décision . Ils avaient le choix, et ils ont préféreré l’expansion à la sécurité, avec des conséquences très dangereuses. C‘était déjà évident à l‘époque – je l’ai écrit et d’autres personnes l’ont fait : si vous préférez l’expansion à la sécurité, cela conduit à une dégénérescence interne, la colère, l’opposition, l’isolement et la destruction ultime éventuellement. Et en soutenant ces politiques , les Etats-Unis contribuent à la menace à laquelle Israël est confrontée. (...)
Isabelle Kumar, euronews :
Cela m’amène à la question du terrorisme, un fléau mondial et certaines personnes , je pense , y compris vous-même, diront qu’il y a un retour de bâton de la politique américaine internationale. A quel niveau les États-Unis et ses alliés sont-ils responsables des attaques terroristes dans le monde entier ?
Noam Chomsky :
Rappelez-vous que la pire campagne terroriste dans le monde est de loin, celle qui est orchestrée à Washington même. C’est une campagne mondiale d’assassinat. Il n’y a jamais eu de campagne terroriste de cette échelle .
Isabelle Kumar, euronews :
Quand vous parlez de campagne globale d’assassinat …
Noam Chomsky :
La campagne de drones – c’est exactement cela. Sur de grandes parties du monde , les Etats-Unis, publiquement, ouvertement – il n’y a rien de secret dans ce que je dis , nous le savons tous – réalisent une campagne d’assassinat de personnes suspectées de nuire un jour au gouvernement américain. Et en effet c’est, comme vous l’avez dit , une campagne de terreur, et quand vous bombardez un village au Yémen , par exemple , que vous tuez quelqu’un – peut-être la personne que vous visiez, peut-être pas – et que d’autres personnes qui se trouvaient dans le quartier meurent elles-aussi – comment pensez-vous que les gens vont réagir ? Ils vont se venger . (...)
L’Europe a de graves problèmes. Certains sont le résultat de politiques économiques conçues par les bureaucrates de Bruxelles, la Commission européenne et ainsi de suite, sous la pression de l’OTAN et les grandes banques, surtout celles de l’Allemagne. Ces politiques ont un certain sens du point de vue des concepteurs. Ils veulent être remboursés pour leurs prêts et leurs investissements risqués et dangereux. Mais ces politiques érodent l’Etat-Providence, qu’ils n’ont jamais aimé. Mais l’Etat-Providence est l’une de ces contributions majeures de l’Europe à la société moderne, mais les riches et puissants ne l’ont jamais aimé. Il y a un autre problème en Europe : elle est est extrêmement raciste. J’ai toujours pensé que l’Europe est plus raciste que les États-Unis. Jusqu’ici ce n‘était pas aussi visible en Europe parce que les populations européennes dans le passé ont eu tendance à être assez homogène. Donc, si tout le monde est blond aux yeux bleus, alors vous ne semblez pas raciste, mais dès que la population commence à changer, le racisme vient de nulle part. Très vite. Et c’est un problème culturel très grave en Europe.
Isabelle Kumar, euronews :
J’aimerais terminer avec une question de Robert Lumière sur une note plus positive . Il demande : « Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ? “
Noam Chomsky :
Ce qui me donne de l’espoir : un certain nombre de choses dont nous avons parlé . L’indépendance de l’Amérique latine par exemple. C’est d’une importance historique. Nous le voyons avec la réunion du Sommet des Amériques à Panama. Dans les dernières réunions continentales, les États-Unis ont été complètement isolés. C’est un changement radical par rapport à il y a 10 ou 20 ans, lorsque les États- Unis trempaient dans les affaires latino-américaines. En fait, la raison pour laquelle Obama a fait ses gestes envers Cuba était d’essayer de surmonter l’isolement des États-Unis. Ce sont les États-Unis qui sont isolés, pas Cuba. Et sans doute ce sera un échec. On verra. Les signes d’optimisme en Europe sont Syriza et Podemos. Espérons qu’il y ait enfin un soulèvement populaire contre les écrasements, les politiques économiques et sociales destructrices qui viennent de la bureaucratie et des banques, et c’est très encourageant. Ou ça devrait l‘être.