
Les enfants dits HPI sont-ils naturellement plus intelligents que les autres ? Et pourquoi ce titre est-il devenu si prisé de certains parents ? Le chercheur Wilfried Lignier pose la question.
Le diagnostic reconnaissant un haut potentiel intellectuel (HPI) s’inscrit-il dans le cadre de stratégies éducatives, en particulier celles des classes supérieures qui cherchent à obtenir divers sauf-conduits scolaires pour leur enfant ? C’est l’hypothèse de Wilfried Lignier, sociologue au CNRS, pour qui faire reconnaître comme surdoué son enfant permettrait d’augmenter son pouvoir face à l’école. Pour lui, l’idée même d’intelligence est devenue éminemment politique... Wilfried Lignier, auteur de La petite noblesse de l’intelligence (éditions La Découverte), étudie depuis plus de 10 ans les domaines de l’enfance, de l’école et de la médicalisation. Interview.
Pourquoi avoir choisi d’étudier les HPI ?
Wilfried Lignier : Parce-que c’est un peu fou de prétendre de ses enfants qu’ils sont intrinsèquement et psychiquement plus intelligents, grâce à un cerveau particulier qui leur permettrait de réfléchir différemment et plus vite… En tant que sociologue, déconstruire cette idée représente un défi. L’objectif ne peut pas être, certes, de se prononcer sur la réalité biologique du phénomène HPI. Mais on peut circonscrire la part – immense ! – du construit, du social, de l’historique… La question n’est pas de remettre en cause l’existence de niveaux intellectuels différents, car la sociologie l’explique simplement : le cerveau étant plastique, plus les gens seront entraînés, plus ils seront forts. (...)
Singulariser son enfant est une stratégie sociale très générale, et compréhensible : c’est chercher à obtenir le meilleur pour l’enfant, et pour l’avenir de la famille. Il faut toutefois s’interroger et s’accorder sur les moyens et conditions de cette singularisation. Ce que je trouve dérangeant avec ce diagnostic HPI, c’est son caractère faiblement démocratique, inégalitaire. Il faut pouvoir payer le psy, lire les livres et les sites internets qui permettront de s’approprier le diagnostic, se sentir autorisé à produire le test face aux enseignants. Dans ces conditions, le diagnostic HPI fonctionne forcément au profit des familles les plus favorisées, qui cherchent à avoir encore plus la main sur l’École publique, sur l’éducation d’État. Quitte à lui faire renier sa propre logique : reconnaître une forme d’excellence non reconnue par l’évaluation scolaire… Je ne dis pas, bien sûr, qu’il ne faut jamais remettre en cause l’ordre normal. Mais il faut questionner le fait de le faire dans des conditions qui favorisent de fait les plus forts socialement. (...)
Sans nier les problèmes que l’École rencontre, il faut je crois défendre le principe d’une éducation vraiment commune, au travers d’une forme d’organisation collective, où l’on est censé traiter les gens de manière égalitaire, avec des critères transparents... L’École que l’on connaît n’est pas idéale, mais on ne gagne rien, selon moi, à lui opposer une privatisation de l’évaluation et de la prise en charge des enfants. Y compris lorsqu’elle se présente sous la forme on ne peut plus respectable du soin psychologique ou médical.