
Nuit debout a soufflé sa première bougie, dimanche 3 avril, place de la République à Paris. Un rassemblement en demi-teinte, alors que le mouvement s’est profondément transformé. L’hommage à Liu Shaoyao, tué par la police, qui s’est déroulé juste à côté, a remis la question des violences policières et la convergence des luttes au coeur des débats.
Dimanche 3 avril, place de la République à Paris, il y a bien quelques repères familiers – les piles de bouquins de la bibliothèque, la cantine à prix libre, les palabres d’Education populaire debout. Pourtant, un an après la toute première occupation de la place par des opposants au projet de loi travail, un on-ne-sait-quoi dans l’atmosphère de Nuit debout a changé. Malgré le soleil printanier, la foule est clairsemée, l’insouciance un peu passée. Le rassemblement en hommage à Liu Shaoyao, tué dimanche 26 mars à son domicile par un policier, qui s’est déroulé au même moment sur une autre partie de la place, a contribué à donner le ton de l’après-midi. Une bougie soufflée, la maturité ? (...)
La mobilisation se poursuit, assure Fanny : « Les gens ont échangé des idées sur l’application Telegram. Les membres les plus actifs de la commission ont passé l’été sur des Zads ou au camp climat. Nous soutenons les associations sur les réseaux sociaux et sur le terrain. » Pour preuve, Yohann, un autre membre de la commission, énumère le programme de l’après-midi : « Nous avons invité les membres du collectif pour le triangle de Gonesse à parler du projet de mégacomplexe commercial Europacity, en vue de leur manifestation du 21 mai. Nous avons prévu un débat sur tout ce qui s’est passé cette année dans l’actualité écolo – les Faucheurs de chaise, le Dakota Access Pipeline, etc. »
Comment qualifier l’évolution du mouvement ? « Disons qu’il reste, en soi, éphémère, juge Yohann. Ce qui est resté n’est pas visible. C’est ce que j’ai appris sur la place et les gens que j’y ai rencontrés. Son objectif est toujours le même : informer, discuter, débattre et montrer que tout le monde peut s’intéresser à la politique. » Sans forcément tenir compte des prochaines échéances électorales. (...)
Rien de très précis sur les élections : « On ne se prend pas la tête avec ça. Chacun fera ce qu’il voudra. Moi, mon idée, c’est que qui que soit le président élu, c’est cuit. Une des mesures évoquées était d’ailleurs de ne pas voter pour une personne mais pour un programme, à réaliser en trois ou cinq ans en fonction des besoins. »
Peu à peu, les gens s’installent pour l’assemblée générale de printemps. Le premier à intervenir est Laurent, des Gipsies, encore sous le choc du démantèlement d’un camp de Roms dans le Val-de-Marne. « Malgré le soutien des associations spécialisées, nous n’avons n’avons pas pu empêcher l’expulsion, témoigne-t-il. Mais nous avons découvert que ces expulsions servaient à gonfler le nombre de reconduites à la frontière présenté par le gouvernement. Ce dernier chasse chaque année 15.000 des 20.000 Roms qui vivent en France ! » Une jeune femme aux longs cheveux bruns, veste en jean sur le dos, lui succède. « Les gens votent par dépit, le vote blanc n’est pas pris en considération. Le collectif Rien sans nous vous invite à glisser dans l’urne un bulletin commun, pour dénoncer ce système. »
Journée de la transition avec Alternatiba, lutte contre l’évasion fiscale avec Attac... Les interventions s’enchaînent, disparates, souvent assorties d’appels à participer à des actions les semaines suivantes. Jusqu’à ce que l’assemblée générale soit interrompue par un groupe de jeunes manifestants franco-chinois fuyant les gaz lacrymogènes. Une dame noire coiffée d’un chapeau noir saisit le micro : « C’est la police qui provoque ! Rendez-vous jeudi 6 avril à 19 h, place de la République, pour dénoncer les violences policières. De nombreuses familles de victimes seront présentes. » (...)
Des jeunes venus rendre hommage à M. Liu sont invités à prendre la parole. « Nous sommes là parce qu’un père de famille a été tué par un policier, sous les yeux de ses enfants, alors qu’il leur préparait du poisson. Nous nous révoltons car le recueillement ne fait pas écho dans les médias et que les CRS nous ont gazés ! », s’indigne une jeune femme, le bas du visage dissimulé sous un masque hygiénique orné d’un autocollant « Nous sommes chinois ». « Nous ne sommes pas là seulement pour les Chinois mais pour tout le monde », poursuit une autre.
« La jeunesse chinoise cherche en Nuit debout une alliée » (...)
Tout d’un coup, les langues se délient sur les violences subies par tous, habitants des quartiers populaires issus de l’immigration, asiatiques, manifestants. « Ne donnez pas d’injonctions aux habitants des quartiers populaires, intervient un représentant du collectif Pas sans nous. Si vous acceptez que notre culture et nos façons de faire sont différentes, alors on pourra marcher sur le même chemin. » (...)
« Il ne faut pas de compétition des luttes », s’exclame un nuitdeboutiste venu de Roubaix, dont le cri de ralliement « Convergence ! Convergence ! » est rapidement repris par le public. (...)
Matthieu, cheville ouvrière de Nuit debout Rennes, est venu passer le week-end à Paris pour rencontrer les autres mouvements. « C’est sûr, c’est un gros bazar, sourit-il. Mais c’est quand même positif. Au bout d’un an, avec le recul, on comprend enfin ce qu’est Nuit debout : une plate-forme d’initiatives qui essaient de se rencontrer, même si ça fait un peu collage. Et surtout, un lieu de sociabilité démocratique indispensable, où l’on apprend à s’écouter et à travailler ensemble. » C’est pourquoi, si l’élection présidentielle ne s’inscrit pas tant que ça dans l’agenda de Nuit debout, le travail du mouvement sur la démocratie ne fait que commencer. « Après les élections, nous voulons lancer un grand débat ouvert sur la démocratie. La vraie démocratie, c’est une société civile organisée. »