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On assiste à la petite mort du journalisme politique
Claude Askolovitch
Article mis en ligne le 7 février 2017

Les analyses qui ont suivi à la télé la conférence de presse de François Fillon ont mis en lumière de manière crue la déliquescence d’un certain entre soi.

Un soulagement exhalait du plateau, après la performance du mari de Pénélope F, et, l’un saluait « l’artiste », l’autre exaltait ce chef que la droite rencontrait. L’animatrice suggéra que la demande de transparence était « un peu totalitaire », et une invitée renchérit, « complètement totalitaire ». (...)

On allait reparler combat, sondages et espérances, et on serait débarrassé de ces vulgarités –les finances, les soupçons, les enquêtes, dont on n’avait que faire. Ces vérités qui s’étaient imposées dans le débat public, ce ridicule d’une femme au foyer payée 6.000 euros nets pour conseiller sur les affaire de la Sarthe, un député suppléant son époux ministre –cela et autres faits comiques– ces questions qui obscurcissaient la routine du championnat, elles seraient balayées par la volonté ou l’applomb de François Fillon ! On n’en savait fichtre rien, sur ce plateau, mais on le désirait tant ? Et repoussant les doutes comme totalitaires, s’instaurant gardiens de l’opacité et de la tranquillité des puissants, quelques fins cerveaux du journalisme politique en finissaient avec leur profession –sans le savoir, par oubli ou fatalité. (...)

Des éditorialistes, au fond, trouvent exagérée la passion investigatrice. Ils en tiennent, philosophiquement, pour les secrets des enquêtes judiciaires, et pour la paix que l’on doit aux gouvernants, pour ne pas les distraire, pour que la politique se narre sans incident, dans des débats élevés ? Tout se discute. Soupesons ? Ou constatons. Le journalisme vit son grand schisme. Ce n’est pas totalement nouveau, mais c’est devenu entêtant. Un journalisme politique s’est érigé en gardien des pouvoirs, et de son lien avec eux. Il ne veut pas qu’on les dérange, ni qu’on les discute. Il en tient pour l’ordre établi.

Ce n’est pas seulement une question sociale, mais ça le rejoint ; en grattant un peu, on verra bientôt que les mêmes, qui trouvent bien du mérite à Fillon le résistant, trouvent les trublions Hamon ou Mélenchon peu convenables et peu présidentiables (...)

Le cambouis de l’information

Un journalisme s’arrête à la politique. Il abandonne ses droits et ses devoirs, et néglige ses refus. Ailleurs, on enquête, on réfléchit, on découvre, on révèle, on tâtonne, on se salit les mains dans le cambouis de l’information. Un journalisme politique meurt de se croire propre. Il est « embedded » sans même avoir besoin de monter dans les avions. Il est « embedded » dans la logique du monde qu’il couvre, et qu’il adopte, bien obligé, par obligation professionnelle, par goût, par estime ensuite, car ces gens de pouvoir ne sont pas sans charme ni passion, ni faiblesse, ni humanité. (...)

Tous les journalistes qui couvrent la politique n’épousent pas cette perversion charmante. Il est des gens de mémoire et de morale, et des contestataires encore. Les assidus des débats parlementaires, les spécialistes, sont sobres et compétents. Mais la visibilité du journalisme politique –l’interview codée, du pouvoir pour ses aficionados, dans l’entre-soi, les éditorialistes qui se répondent et épousent le petit monde– est loin de cette ascèse. Le journalisme politique, tel qu’on le voit, est la négation de la politique, et du journalisme avec lui. Il parle d’autre chose. D’une discipline fermée, qu’il faut protéger des vicissitudes du temps. On ne sait pas, au bout d’un moment, si l’on protège des valeurs, un monde, ou sa tranquillité, sa manière de vivre ou de travailler.
Le prix de l’insolence

Ceci posé. De tout ceci, celui qui écrit ces lignes en fut, de ce journalisme, en est encore, peut-être, et s’attache à s’en délivrer. Non pas du débat ou de l’analyse. Mais de l’acceptation dolente de la narration des politiques, de la vie en bulle, des refus impossibles, des violences interdites.

On est, dans le journalisme politique, d’une équanimité rare ; on refuse la morale, et même le sens commun. (...)

Dans le drame du journalisme politique, il y a ceci, également : l’obligation de commenter et d’interroger une flopée d’imbécilités et d’idiots, idiots par essence ou par choix, et de prendre au sérieux –feindre de prendre au sérieux– les communiqués officiels, les éléments de langage, les postures, les outrances, les crétineries assenées, le racisme banalisée, l’ambition sordide, qui s’étalent et se reproduisent de matinales en émissions tardives…
La République des bouffons

Le roi est nu, les roitelets sont laids, les bouffons ont envahi les palais. Mais qui sommes-nous, journalistes, accrédités à cette cour piteuse, commis aux bêtises des petites phrases et des sous-entendus délétères. On peut changer de métier ? Mais si l’on reste ? On reste en refusant tout ? On subit tant de choses. On s’en sort dans des ironies de plateau. (...)

Le journalisme politique est prisonnier de la médiocrité de son objet. Mais s’il l’admet, il se suicide. Ne se suicidant pas, il se perd. (...)

Les affaires sont le dopage de la politique. Une tricherie qui obère le reste, et rend vaine l’épique, la passion, l’indulgence. On ne peut pas raconter de même le sombre et fier François Fillon, pénétré de ses vérités anciennes, habité par la sagesse des paysans du Maine, quand on le découvre, soudain, facile, dispendieux pour les siens avec l’argent collectif…
Paradis perdu

On ne peut pas ; de cette impossibilité nait la colère (...)

De petits personnages nous occupent, dont on s’occupe trop, au détriment de la vérité, et de citoyens dans l’oubli. Combien de mots, hier soir, sur Fillon, combien sur Théo d’Aulnay ? Un journalisme meurt par la maladie de son sujet, que l’on ne peut plus appeler « politique ». Il devra rompre, pour survivre, rompre et refuser, sans vengeance, simplement s’écarter ; et épargner sa nostalgie vaine, le masque de sa paresse, à ceux qui lui font la grâce de l’entendre, encore.