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« On est en train de confier la liberté d’expression à des algorithmes ! »
Article mis en ligne le 20 décembre 2019

Alors que la proposition de loi Avia sur la lutte contre la haine sur Internet arrive en deuxième lecture au Sénat Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, pointe les multiples dangers du système proposé.

Actu-Juridique : Dans un souci d’efficacité de la lutte contre les propos haineux sur Internet, la proposition de loi Avia impose aux plateformes Internet de retirer un contenu manifestement haineux dans un délai de 24 heures après notification. En quoi est-ce dangereux à vos yeux ?

Lucille Rouet : Cela revient à instaurer un mécanisme de censure par prévention puisqu’on retire un contenu sur la base d’un signalement avant même qu’un juge ait pu décider si oui ou non le contenu litigieux était sanctionnable. Autrement dit, on transfère à des entreprises privées le soin d’apprécier l’exercice d’une liberté publique. Or on sait bien qu’elles seront tentées de censurer pour éviter tout risque de sanction. On est donc en train de mettre en place un mécanisme de censure. Et celui-ci est encouragé par le système de sanction prévu dans le projet. (...)

Nous regrettons déjà le peu de place accordé à l’apprentissage et à la prédagogie, tout est concentré sur la sanction. Nous aurions aimé que l’on réfléchisse davantage sur la formation à l’utilisation des réseaux sociaux. Ensuite, le juge est le gardien naturel des libertés publiques. Or, ici on ne lui réserve qu’une place subalterne. En pratique, la question est traitée d’abord par les plateformes, ensuite par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et enfin par un observatoire. Le juge n’occupe plus qu’une place anecdotique. Il faudrait le remettre au coeur du dispositif en créant de vrais recours. On nous objecte que la justice est trop lente et dépassée, mais le CSA va être tout aussi dépassé lorsque les utilisateurs sélectionneront les plateformes les moins regardantes en matière de contenus haineux pour aller s’y exprimer. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on est en train de confier la gestion de la liberté d’expression à des algorithmes qui seront programmés par des entreprises commerciales que le texte pousse à censurer pour éviter la sanction. (...)

Soulignons que rarement une proposition de réforme n’a fait à ce point l’unanimité contre elle. La Quadrature du net y est opposée, la commission européenne a émis des observations le 22 novembre estimant qu’il y avait un risque de violation de la directive e-commerce aussi. La première nécessité consiste à créer une sanction en cas de retrait abusif. Il faut ensuite considérablement revaloriser le rôle du juge judiciaire en le faisant intervenir sur recours très en amont et en faisant en sorte ensuite qu’il irrigue toute la procédure. (...)