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Frustration, la revue
"On est face à un Etat néo-libéral au service exclusif des plus riches qui a fait du mensonge son seul mode de communication avec le peuple" - Entretien avec Monique Pinçon-Charlot (Partie I)
Article mis en ligne le 22 octobre 2019

(...) Je suis sociologue et j’ai écrit avec mon mari 26 ou 27 livres de sociologie sur l’oligarchie. Si nous avons pu accomplir un tel travail, c’est grâce à notre statut de chercheurs au CNRS, que nous avons défendu bec et ongles, sans obligation de charge administrative et d’enseignement, pour nous consacrer entièrement à l’ objet de recherche de notre choix et le labourer pendant des décennies.

Nous avons ouvert un véritable boulevard pour développer les recherches sur l’oligarchie mais en même temps nous avons grillé le terrain. En effet les résultats de nos enquêtes menées auprès des familles les plus riches de France, de manière ethnographique, anthropologique et sociologique, ne sont pas remis en cause par les enquêtés. Par contre la transmission de ces résultats aux ouvriers des Ardennes, aux agriculteurs du Gard et auprès de toutes sortes de milieux sociaux à travers la France, ne plaît pas du tout !

Michel et moi nous avons décidé, le 1er janvier 1986, de travailler ensemble sur les dominants. Nous n’étions plus liés par des engagements collectifs comme pour nos recherches précédentes : moi, sur les classes moyennes et les hauts fonctionnaires, Michel sur les ouvriers. Nous étions libres de travailler tous les deux. L’année 1986 a été marquée par le déménagement de notre petit pavillon à Arcueil pour la maison de Bourg-la-Reine que nous occupons encore actuellement. La possibilité de travailler chez nous dans de bonnes conditions a été favorisée par la pénurie de bureaux dans le nouvel institut auquel notre laboratoire s’est vu rattacher en 1986 également. Notre minuscule petit espace sans fenêtre tenait plus du placard à balai que du bureau pour mener à bien nos projets. Nous avons donc annoncé que, désormais, nous allions travailler sur celles qu’on appelait alors les “grandes familles fortunées de la noblesse et de la grande bourgeoisie”. Nous étions des chercheurs modestes et peu reconnus mais nous avions toujours trouvé de l’argent pour financer nos enquêtes. Ce qui n’a pas été le cas pour notre premier travail à Neuilly et dans les arrondissements de l’ouest de Paris, qui a débouché sur le livre Dans les beaux quartiers (Seuil, 1989). Nous avons financé nous-mêmes avec nos salaires, magnétophone, déplacements, mais aussi des vêtements car il a fallu faire des efforts en matière vestimentaire pour marquer notre respect vis à vis des personnes qui acceptaient de nous recevoir.

Puis, comme ce premier livre a trouvé un certain écho, nous avons bénéficié par la suite de contrats de recherche avec le ministère de l’Equipement ou celui de la Culture, voire même une banque privée !

En ce qui concerne les critiques de nos collègues, ce sont celles des plus proches qui nous ont le plus marqués car elles ont changé de registre. Les critiques scientifiques ont été remplacées par une stigmatisation de type psychologique : « Vous êtes trop gentils », « Vous êtes fascinés » ou même à propos de notre recherche sur la sociologie de la chasse à courre, « Vous êtes des chercheurs indignes » ! (...)

Ces intellectuels au service des médias des milliardaires sont là pour relayer, chacun à sa manière le discours performatif qui transforme les exploiteurs en « entrepreneurs créateurs des richesses » et les ouvriers en « coûts et variables d’ajustement » dans une inversion des rapports de classe fondé sur des manipulations linguistiques et idéologiques. (...)

On se sentait très forts, à vrai dire, grâce au travail théorique de Pierre Bourdieu dont nous avons suivi de manière régulière les cours au Collège de France. Il était capable de dire, au cours d’un séminaire des choses frappantes que nous n’avons jamais oubliées. Comme par exemple le fait que le réel est emmerdant parce qu’ il est toujours présenté de manièresubstantialiste alors qu’il faut l’appréhender dans toutes les relations pertinentes dans lesquelles il s’insère .Dans les institutions de recherche, le cloisonnement entre la sociologie de l’éducation, la sociologie urbaine ou la sociologie du genre, est institué pour empêcher de penser en terme de classes sociales dont les antagonismes et les inégalités sont transversales à ces approches spécialisées. (...)

Quand Bourdieu et ses condisciples ont créé la revue « Actes de la recherche en sciences sociales » en 1975, c’était une révolution intellectuelle, car ils contestaient les découpages en disciplines. (...)

Avec le système théorique de Pierre Bourdieu, nous avons trouvé une sociologie qui était compatible avec la psychanalyse et le marxisme. (...)

La première fois que nous avons utilisé le terme d’ “oligarchie” c’est dans Le président des riches à propos de l’ère Sarkozy. Le terme est totalement absent de tous les autres livres. A ce moment-là, nous avons vraiment compris à quel point la classe dominante est capable d’une solidarité totale et totalitaire pour défendre ses intérêts de classe.

Le concept d’oligarchie est parfaitement adapté à la société capitaliste dans sa forme néo-libérale que nous subissons actuellement. L’argent domine tous les secteurs de l’activité économique et sociale. Le champ politique a perdu son autonomie relative, ce sont les puissances d’argent qui mènent désormais la danse ! (...)

Actuellement, avec la finance aux commandes de tous les secteurs de l’activité économique et sociale. Le politique même appartient aux milliardaires : c’est eux qui ont placé Emmanuel Macron à l’Élysée (...)

“On est non seulement dans une aliénation idéologique, mais on est passé à quelque chose de beaucoup plus grave encore : une aliénation de la conscience sociale avec une aliénation neurologique et psychologique” (...)

aujourd’hui,les tenants du néo-libéralisme utilisent les outils de la psychanalyse et des neurosciences pour trafiquer nos cerveaux !

Le livre « Propaganda » ou Comment manipuler l’opinion en démocratie, d’un neveu de Freud, Edward Bernays, est pour cela très intéressant.( Edité chez Zones en 2017) (...)

La suppression de l’ISF représente 4,6 milliards d’euros de manque à gagner chaque année dans les caisses de l’Etat, c’est à dire plus que le budget annuel du CNRS, qui est de 3,3 milliards d’euros. Mais là où Macron a été malin, c’est qu’il n’a pas supprimé tout cet impôt, il a conservé la partie immobilière avec la création de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière). Donc, de l’ISF, il a extrait seulement les valeurs mobilières, c’est-à-dire les actions, les obligations, les produits dérivés, tous ces produits financiers qui représentent plus de 90 % des patrimoines des 100 plus riches de l’ISF ! C’était donc bien bien un cadeau aux ultra-riches. Les pauvres millionnaires qui possèdent 3 ou 4 appartements dans Paris, eux vont payer le nouvel IFI.

S : En plus de l’ISF, il y a la Flat Tax ?

En effet, dont on a très peu parlé, mais qui est essentielle : Macron crée pour la première fois dans l’histoire, au moins de celle de la Ve République, et sûrement depuis le début de la lutte de classe entre le capital et le travail, un impôt forfaitaire pour le capital. Tous les capitalistes, que ce soit Bernard Arnault, ou vous si vous avez quelques actions mises de côté, vous payez désormais à la même hauteur : 12,8 %, tous pareils !. Or, 12,8 %, c’est moins que la première tranche d’imposition de fait des salaires, soit 14 %. Est-ce que vous vous rendez compte de la révolution néo-libérale que cela représente pour les capitalistes ? (...)

Mais le plus fort du plus fort dans cette histoire, c’est qu’ils ont menti. Aujourd’hui, on est face à un Etat néo-libéral au service exclusif des plus riches qui ont fait du mensonge leur seul mode de communication avec le peuple. Comment avons nous compris que cet impôt forfaitaire sur le capital, appelé Flat Tax n’était que de 12,8 % alors que tous les chiens de garde des médias des milliardaires parlaient de 30 % ? Moi, au début, je ne comprenais rien, j’avais bien vu que c’était 12,8 %, mais lorsque je passais à la télévision, on me disait : non, c’est 30 %, qu’est-ce que vous racontez ? Alors nous nous sommes fait aider par un économiste de gauche, Liem Hoang Ngoc qui nous a expliqué que quand il s’agit des revenus du capital, les capitalistes et leurs valets intègrent le prélèvement social, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie et le prélèvement de solidarité (la CRDS et la CSG) soit 17,2 %, ce qui fait bien 30 % avec les 12,8 % de Flat Tax. Si je les enlève, je retrouve bien mes 12,8 %. Par contre, dès qu’il s’agit des impôts des travailleurs, on ne compte pas la CSG ni la CRDS, ce qui permet d’affirmer que la première tranche d’imposition est à 14 %, alors qu’en les intégrant cela fait 24 % ! Un tel niveau de prélèvement ferait hurler dans les chaumières ! Le mensonge est omniprésent sur toutes les chaines de télévisions. C’est honteux de nommer un impôt forfaitaire sur le capital qui fait disparaître la progressivité de l’imposition des plus riches mais en maquillant cette régression sociale sous l’anglicisme de FatTax.

Nous avons également utilisé l’expression « ultra-riches », de manière impertinente pour renvoyer l’ascenseur à ceux qui traitent la moindre contestation du système capitaliste « d’ultra-gauche, d’ultra-anarchisme… » Avec Macron, on est passé à un niveau supplémentaire dans la violence de classe, dans les mots, dans le mépris, dans la violence avec la mutilation des corps notamment envers les gilets jaunes qui ont subi des violences policières insensées par un Etat désormais au services des grandes fortunes. (...)