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Libération
« On n’a jamais entendu Emmanuel Macron dire que les riches déconnent »
Article mis en ligne le 18 janvier 2019

Après une nouvelle sortie du Président lors d’une visite surprise dans l’Eure, Florent Guéguen, directeur général d’une fédération qui regroupe les associations de lutte contre la pauvreté, déplore des propos qui montent les Français les uns contre les autres.

Directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars), qui regroupe les associations de lutte contre les exclusions et d’aide aux démunis, Florent Guéguen décrypte la sémantique du président de la République. Lors d’une visite surprise à Gasny (Eure), Emmanuel Macron a fait une nouvelle sortie de route. « On va davantage les responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent » a déclaré le chef de l’Etat au sujet des « gens en situation de difficulté », lors d’une intervention devant le conseil municipal de cette commune d’un peu plus de 3 000 habitants. Des propos qui font écho à des déclarations antérieures sur le « pognon de dingue » des minima sociaux, les chômeurs auxquels il suffit de « traverser la rue » pour trouver du travail, ou encore les gens qui « ne sont rien ». Une succession de déclarations qui lui valent d’être perçu par une majorité de Français comme « arrogant », « méprisant » dans les sondages.

Quelle est votre réaction après cette déclaration du chef de l’Etat qui pointe les gens en difficulté « qui déconnent » ?
Les 8,8 millions de personnes touchées par la pauvreté dans notre pays, ce qui fait quand même 14 % de la population, se trouvent une nouvelle fois pointées du doigt. Au-delà de l’aspect blessant du propos, cette déclaration du président de la République traduit une vision politique – réaffirmée à plusieurs reprises – selon laquelle les pauvres seraient responsables de leur sort. En creux, il laisse entendre que les démunis se complaisent dans leur situation, ne font aucun effort pour s’en sortir. Comme si la pauvreté était un choix, une sinécure.

En tant que fédération regroupant des associations de lutte contre les exclusions que constatez-vous sur le terrain ?
La déclaration du président de la République est totalement déconnectée de la vie quotidienne des personnes en difficulté. L’immense majorité d’entre elles se bougent pour s’en sortir et rament au jour le jour pour tenir le coup avec des ressources extrêmement limitées. Mais elles se heurtent à de nombreux obstacles : pénurie d’emplois disponibles, problèmes de formation et de qualification qui ne se résolvent pas en quelques semaines d’apprentissages. Sans compter les problèmes liés à la santé, à la mobilité ou à des configurations familiales complexes. Je rappelle aussi que le nombre d’emplois aidés dont l’objectif est de favoriser l’entrée dans l’emploi des personnes en difficulté a été considérablement réduit (...)

Ce ressenti est exprimé dans les sondages mais aussi dans les manifestations qui se déroulent depuis plusieurs semaines dans notre pays. Les déclarations perçues comme « méprisantes » visent toujours les mêmes : les allocataires du RSA et les chômeurs. On n’a jamais entendu Emmanuel Macron dire au sujet de l’évasion fiscale que « les riches déconnent ». En cette période de tensions sociales et politiques, le rôle du président de la République devrait consister à rassembler les Français, à créer de la cohésion. Or la déclaration de Gasny sème la discorde et la division. On monte les moins pauvres contre les très pauvres. Et les actifs contre les gens qui sont au chômage, en sachant que la plupart des chômeurs d’aujourd’hui travaillaient hier. Ils ont eu la malchance de perdre leur emploi, souvent parce qu’il y a eu un plan social dans leur entreprise ou parce que leur entreprise a carrément mis la clé sous la porte. (...)

Les responsables politiques qui vont déclarer sur les plateaux télé que les démunis gèrent mal leur argent méconnaissent totalement la vie quotidienne des pauvres et l’expertise qu’ils ont acquise pour vivre avec très peu. Ce dont nous serions bien incapables.