
Je me taisais tranquillement dans mon coin, conscient que les réactions en période de sidération ne sont pas forcément constructives, lorsque j’entendis un appel à nous faire taire au nom de la morale. Tous sans exception, nous serions moralement problématiques. L’immunité morale étant fournie par la carte de presse et accessoirement un créneau sur France Inter, choses que je ne possède pas.
Dans les moments de sidération collective tel que celui que nous traversons la réflexion et le recul sont difficiles. Toute prise de parole ou de clavier serait potentiellement polémique et les arguments employés ne seraient pas les plus justes. Le temps est nécessaire pour pouvoir se ressaisir, remettre les idées en place et relancer notre cerveau de manière raisonnée. On peut appeler ça la décence ou encore prise de recul nécessaire.
Bien entendu, vous, chers éditorialistes, analystes et autres commentateurs médiatiques, et même journalistes des services publics, vous n’avez pas besoin de cette prise de distance, de temps de réflexion. Car vous savez. Vos réflexions sont prêtes.
Je sais que vous n’en aurez rien à faire des lignes qui suivront et que vous ne les lirez même pas. Sachez tout de même qu’il m’importe peu que vous les lisiez ou pas puisque ce n’est pas à vous que je m’adresse. Je feins pour les besoins stylistiques d’une lettre ouverte. Vous-mêmes, vous feignez beaucoup, alors pourquoi je n’en aurais pas le droit. Ceci est mon texte et je vous choisis comme prétexte. Je m’adresse à quelques rares lecteurs que le hasard du cheminement de leur souris amènerait jusqu’ici alors que vous, c’est en prétendant délivrer de l’information aux foyers nationaux que vous vous y introduisez et que vous y servez vos diatribes exacerbant les instincts primaires.
Monopoliser l’espace médiatique depuis des années et continuer de s’imaginer en pourfendeur du politiquement correct bravant des interdits pourrait être juste risible si ce n’était lassant. Ou dangereux.
Lorsque vous, les invités permanents de CNews ou LCI déclarez quotidiennement qu’on ne peut plus rien dire alors forcément, au bout d’un moment, vous devenez fatigants. Vous jouez les censurés et vous réclamez la censure. Pour quiconque ne pense pas comme vous. C’est bien connu, ceux qui ne pensent pas comme vous sont des complices du pire. Des irresponsables responsables de la situation actuelle.
On peut penser comme vous qu’une société de plus en plus inégalitaire où les choses communes comme les services publics ou la sécurité sociale sont des charges trop lourdes dont il faudrait se débarrasser n’a rien à voir avec le séparatisme. On peut penser comme vous que les discours traitant les enseignants de fainéants, de planqués et de lâches n’a rien à voir avec la situation. On peut penser comme vous que ces mêmes enseignants sont essentiels pour contrer le prétendu « ensauvagement » de la société et ne pas trouver ce contraste à quelques semaines d’intervalle indécent. On peut penser comme vous que « la pleurniche hospitalière quotidienne » ça suffit (comme un certain Yves Calvi, modèle de neutralité journalistique). On peut appeler la France entière à applaudir les hospitaliers une semaine plus tard et n’y trouver là non plus aucune indécence. On peut penser comme vous que l’huile est efficace contre les départs de feu. Jouer sur les peurs, taper sans discernement et espérer ainsi apaiser la société est une attitude pour le moins intrigante. Remarquez que je suis, contrairement à vous, d’humeur euphémisante malgré le niveau de mon exaspération.
Exaspéré je le suis depuis longtemps, mais c’est seulement aujourd’hui que j’écris. Pourquoi donc aujourd’hui ? (...)