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Mediapart
Opération intox : l’encyclopédie Wikipédia a été visée
Article mis en ligne le 15 août 2022

Déjà accusée d’avoir mené une opération sans précédent de manipulation de l’information sur divers blogs, la société française Avisa Partners est désormais soupçonnée d’en avoir fait autant avec Wikipédia, pour le compte de grands patrons du CAC 40, comme Bernard Arnault, ou de puissances étrangères autocratiques.

C’est l’histoire d’une possible contamination générale. La société d’intelligence économique Avisa Partners, prestataire de dictatures étrangères et de grandes entreprises du CAC 40, déjà accusée d’avoir manipulé l’information dans des espaces participatifs de médias français et étrangers, comme Mediapart l’a rapporté fin juin, est aussi soupçonnée d’avoir réussi à infiltrer l’encyclopédie collaborative Wikipédia, consultée par 4 millions de visiteurs par jour en France. Le but : modifier des pages pour faire la promotion déguisée de ses clients ou le dénigrement intéressé de concurrents.

Des documents et témoignages recueillis par Mediapart, recoupés par des recherches internes à la communauté Wikipédia (voir en « Boîte noire »), permettent aujourd’hui de poursuivre le dévoilement de pratiques liées à Avisa, qui se revendique proche de grandes institutions publiques françaises, comme le ministère des armées ou la gendarmerie nationale, même si l’entreprise suscite la plus grande méfiance des services de renseignement français depuis des années. (...)

Selon plusieurs éléments obtenus, Avisa Partners a vendu des prestations de modification de pages pour le compte de grandes entreprises françaises comme le groupe LVMH, La Banque postale ou EDF. Dans ce dernier cas, la mission consistait par exemple à « contenir l’activisme antinucléaire » sur Wikipédia. Avisa a aussi été missionnée par le géant de la pharmacie et de l’agrochimie Bayer, qui a racheté Monsanto en 2018, dans le but, là encore, de « contenir l’activisme anti-OGM » dans les articles de l’encyclopédie en ligne.

La société d’intelligence économique, qui a attiré dans ses rangs des pontes de la diplomatie et du renseignement français, a aussi travaillé pour améliorer l’image, toujours sur Wikipédia, de la compagnie russe Rusal, premier producteur mondial d’aluminium, ou encore du président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, de la présidence Déby au Tchad et de l’ex-président hongrois János Áder, un proche du premier ministre Viktor Orbán.

Interrogée par Mediapart, Avisa Partners n’a pas répondu à nos questions précises sur les prestations offertes à ces clients. (...)

Une stratégie finement rodée

L’encyclopédie Wikipédia, dont le fonctionnement collaboratif est basé sur la transparence et la confiance entre les contributeurs qui alimentent ses articles, proscrit les contenus promotionnels. Les participations rémunérées sont pour leur part autorisées, à la condition expresse qu’elles soient déclarées comme telles, ce qui donne lieu à la publication d’un avertissement pour le public. Mais la stratégie mise au jour a permis de contourner cet obstacle en infiltrant les rangs de cette communauté avec des contributeurs prétendument bénévoles et indépendants, mais qui travaillent en réalité dans l’intérêt de clients d’Avisa.

L’entreprise a ainsi attiré, ces derniers mois, l’attention de plusieurs bénévoles impliqué·es dans le fonctionnement de Wikipédia et engagé·es le cadre d’un projet « anti-pub », qui vise justement à débusquer les agences qui avancent masquées. (...)

des administrateurs ont aussi ouvert un débat sur la possibilité de bannir de Wikipédia l’entreprise Avisa Partners, en tant que personne morale. Cette procédure rarissime, si elle parvenait à son terme, empêcherait l’agence d’intervenir dans l’encyclopédie, même dans le cadre de prestations officiellement déclarées et signalées. « Cela pourrait avoir un effet dissuasif, les agences sachant désormais que des mauvaises pratiques peuvent leur retomber dessus », appuie Capucine-Marin Dubroca-Voisin. (...)

Pour passer inaperçu au milieu des autres internautes, les avatars liés à Avisa ont multiplié les contributions (ajouts ou vérifications d’informations, participations aux discussions entre les bénévoles…) sur des sujets éloignés des activités de leur employeur : ici sur la biographie d’un acteur hollywoodien, là sur celle d’une star du foot.

Cette activité leur a permis de brouiller les pistes et de gagner du crédit au sein de la communauté. Personne ne peut alors s’imaginer que ces comptes travaillent en réalité pour une société d’influence numérique. Ce qui permet à ces faux-nez de retoucher, le jour venu, des contenus sensibles (des biographies de chefs d’entreprise ou de chefs d’État par exemple), sans être soupçonnés par les autres membres de la communauté de le faire pour le compte d’intérêts privés qui paient cher de telles interventions.

Ces profils utilisent parfois des VPN, outil permettant de rediriger le trafic Internet pour masquer l’adresse IP d’un utilisateur, les localisant en Moldavie ou en Lituanie par exemple, quand bien même ils agissent depuis Paris.
Au service de Bernard Arnault

Notre enquête a notamment permis de repérer un contributeur important, dont l’activité suscite aujourd’hui le soupçon. Très actif depuis son inscription en février 2021, « Melv75 » a à ce jour procédé à 2 888 contributions sur des articles bien souvent anodins. En mai 2021, il complète ainsi les pages consacrées à l’église Saint-Roch de Montpellier, à la chanteuse Marie Modiano, fille de Patrick, ou encore au Baiser de l’Hôtel de Ville, célèbre photographie de Robert Doisneau. Autant de sujets qui ne sont pas liés à Avisa.

Mais en réalité, Melv75 s’appuie sur cette activité pour s’engager au même moment, sans susciter d’interrogations, dans une quinzaine de modifications d’une page beaucoup plus sensible : la biographie de Bernard Arnault, première fortune de France et patron du leader mondial du luxe, LVMH, qui se trouve être un client important d’Avisa.

Les liens entre LVMH et Avisa sont manifestement anciens. (...)

La page Wikipédia du patron de LVMH, qui a été consultée près de 900 000 fois sur l’année 2021, représente, semble-t-il, un enjeu de communication majeur pour le milliardaire. (...)

L’enjeu est d’autant plus stratégique que les « informations de la page francophone servent de référence aux 40 autres versions linguistiques existantes », dont la version anglophone de la biographie de Bernard Arnault, qui a totalisé plus de 2 millions de visites en 2021.

Au même moment, « Melv75 » est mobilisé pour ripoliner la biographie du milliardaire, en insistant subtilement sur des éléments positifs et en atténuant les épisodes les plus gênants de son parcours. (...)

Sur la page de Valérie Pécresse, « Ithaque Odysseus » intervient, à plusieurs reprises, pour atténuer des polémiques qui collent à la peau de la candidate des Républicains (LR). Le 18 février, en pleine campagne, il essaie (sans y parvenir, un autre membre s’opposant à cette intervention) de supprimer une partie de la biographie de la candidate portant sur des révélations du Canard enchaîné et de Marianne concernant sa position, avec son mari, dans la vente d’Alstom à General Electric. (...)

Des profils mobilisés contre la création d’une page sur Avisa (...)