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La revue des medias
Partir ou rester sur Twitter ? Le dilemme des journalistes
#Musk #twitter #medias
Article mis en ligne le 20 décembre 2022

Depuis le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk fin octobre et l’annonce de ses premières mesures, le réseau social Mastodon a doublé sa base d’utilisateurs actifs et se présente comme une alternative libre à l’oiseau bleu. Mais les journalistes qui y ont bâti leur réseau et leur crédibilité peinent à faire leurs cartons.

Il y a quelques jours, Nicolas Berrod a publié son premier pouêt. C’est comme cela que l’on appelle les posts sur Mastodon, sorte de clone libre de Twitter. Jusqu’ici, le journaliste du Parisien avait plutôt l’habitude des tweets. D’ailleurs, il n’entend pas les abandonner. Sur Twitter, il compte toujours plus de 47 000 abonnés, habitués à lire son analyse quotidienne des chiffres liés à la pandémie de Covid-19. Parmi eux, des scientifiques, des médecins et des experts qui font aujourd’hui partie de son réseau (792 abonnés). Depuis le rachat de la plateforme par Elon Musk, beaucoup ont supprimé leur compte au profit de Mastodon.

Le journaliste n’a pas hésité longtemps avant de les suivre afin de garder contact. Et puis, à vrai dire, il les comprend. « Depuis quelques mois, les discussions sont de plus en plus tendues sur les sujets scientifiques, constate-t-il. Mastodon pourrait permettre des échanges plus apaisés. » Le réseau social a peu de chances de tomber entre les mains d’un milliardaire. Lancé en 2016 par le développeur allemand Eugen Rochko, Mastodon s’appuie sur un système décentralisé. (...)

Issue de secours

La plateforme a gagné près d’un demi-million de nouveaux utilisateurs depuis la fin octobre. Parmi eux, forcément, des journalistes et des entreprises de presse. En France, Mediapart fait partie des pionniers. Le média d’enquête y a ouvert un compte en 2017, lors de la première vague de popularité du réseau social en réaction à l’arrivée à l’arrivée du fil algorithmique de Twitter. Avant de l’abandonner, comme tout le monde. « Nous y avons fait notre retour à l’été 2021, une période plus calme dans les rédactions, et depuis, nous n’avons jamais cessé d’alimenter le compte », explique Gaëtan Le Feuvre, aux manettes des réseaux sociaux de Mediapart. Pour le journal cette présence permet d’exister numériquement sans dépendre des géants du Web. (...)

Même raisonnement du côté de Politis. (...)

Sur Twitter, la certification est un gage de sérieux et de crédibilité pour les médias et les journalistes. D’où leur défiance quand Elon Musk a annoncé, fin octobre, vouloir accorder le badge bleu à tous les utilisateurs qui en feront la demande, sans vérification d’identité et à condition de s’acquitter de 7,99 dollars par mois. « Les journalistes qui pensent être la seule source d’information légitime, vous représentez le problème. C’est cela, le gros mensonge », s’est agacé le milliardaire, qui se présente comme un « absolutiste de la liberté d’expression ». Au-delà de cette ouverture relative de la certification, le nouveau patron de Twitter compte également y assouplir les règles de modération des contenus.
Salon poli

C’est en prenant conscience des changements à venir que Johanna Luyssen, cheffe adjointe du service Société de Libération a choisi de plier bagage, malgré son compte vérifié et ses 14 000 abonnés. « En tant que féministe, depuis quatorze ans, je m’en prends plein la tête sur Twitter. On m’a dit “c’est maintenant que cela va devenir intéressant, il faut rester pour voir ce qu’il se passe de l’intérieur”. Mais je n’ai pas envie de voir comment on va se faire harceler encore plus qu’avant. » Les licenciements brutaux du 3 novembre, où 7 500 salariés de Twitter ont reçu un message les invitant à ne pas se rendre au bureau le lendemain, ont été la goutte d’eau.

Nouvelle arrivante sur Mastodon, la journaliste évoque des interactions détendues, et moins d’autocensure. (...)

Quel que soit son seuil de tolérance à la violence en ligne, quitter Twitter reste un luxe que tout le monde ne peut s’offrir. Plus précaires, les journalistes indépendants rémunérés à la pige voient la plateforme comme un accélérateur pour trouver du travail. (...)

La question se pose également pour les jeunes journalistes qui bâtissent leur réseau et pour qui Twitter constitue à la fois un répertoire et un moteur de recherche. Si certains aimeraient quitter le réseau social par conviction, la réalité professionnelle les en empêche. (...)

Pour l’heure, seule une poignée de journaux indépendants fait ses premiers pas sur la plateforme. « En tant que média grand public, nous n’envisageons pas d’ouvrir un compte, explique Raphaël Grably, chef du service Tech&Co de BFMTV. La chaîne d’info en continue compte 3,7 millions d’abonnés sur twitter. Mais si cela devient plus peuplé, pourquoi pas. » Même logique pour L’Informé, nouveau média d’enquête pour qui Twitter (6 000 abonnés) est un vecteur de visibilité essentiel. « Avec LinkedIn, c’est notre réseau le plus important en matière de trafic », précise Jérémy Joly, responsable des réseaux sociaux.

Également peu nombreux, les journalistes se reconnaissent entre eux grâce au hashtag Journadon. Malgré les bugs, certains savourent le côté terre préhistorique. « C’est un joyeux foutoir, on cherche nos marques, on se plaint du fonctionnement compliqué, sourit Corentin Lamy. Il y a un côté débridé, une sorte d’Internet naïf et joyeux. »

Quitter Twitter de manière définitive reste un choix marginal. Pour les journalistes, c’est comme se défaire d’une addiction. (...)