
AU PIED DU MUR. Tout porte à croire que l’océan Atlantique est doté de quelque propriété magique. Six mille kilomètres à vol d’oiseau, et voici que l’on va déplorant, là-bas, ce que l’on peine à voir ici. Il y a quelques jours, aux États-Unis, George Floyd, un homme noir de 46 ans, était interpellé par la police. La scène, filmée, le montre maintenu au sol par la pression prolongée du genou d’un policier blanc sur son cou. Floyd ne peut pas respirer ; il le répète distinctement à plusieurs reprises. La pression n’est pas relâchée, et l’homme décède quelques minutes plus tard. Au même moment, en France, l’affaire Adama Traoré – du nom de ce jeune homme noir de 24 ans, mort sur le sol de la caserne de Persan, en 2016, après avoir été arrêté par trois gendarmes – connaissait une nouvelle étape : la dernière expertise médicale en date exonérait les agents de toute responsabilité et rabattait la cause du décès sur l’existence de pathologies antérieures (pourtant démenties par les examens cardiologiques passés).
Donc : deux pays occidentaux, deux hommes noirs d’origine populaire, deux institutions en charge du maintien de l’ordre, deux disparus et une même stratégie d’asphyxie. Pourtant : mettre en relation les deux drames ne vient pas à l’esprit de la presque totalité des commentateurs médiatiques et politiques hexagonaux, si prompts à dénoncer, main sur le cœur comprise, les exactions policières nord-américaines. « La France n’est pas les États-Unis », ne manquera-t-on d’ailleurs pas d’entendre – et l’on prendra bonne note d’une telle révélation.
Ainsi, Le Figaro peut-il titrer « George Floyd, tué par la police à Minneapolis » et évoquer « l’assassinat d’un Noir par un policier », tout en titrant quatre ans plus tôt : « Affaire Traoré : inversion accusatoire et manipulation victimaire ». Ainsi la LICRA peut-elle s’élever contre le « scandale absolu » que représente la mort de Floyd, rien moins qu’« une honte et une tache indélébile sur le drapeau des États-Unis », tout en écrivant dans sa revue Le droit de vivre, fin 2016, soit cinq mois après celle d’Adama Traoré : « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Il faut donc faire envie, séduire, et faire venir à soi en partant du réel. Adama Traoré n’était pas encore autopsié qu’il s’agissait de dénoncer, confortablement installé derrière son ordinateur et sans avoir accès au dossier, le racisme d’État. » Ainsi l’animateur de télévision Éric Naulleau peut-il lancer que « la question raciale ne dort jamais que d’un œil aux États-Unis » et qu’il suffit « d’un flic sadique » pour la réveiller, tout en condamnant avec force, cinq jours auparavant, les propos de Camélia Jordana qui, s’appuyant sur l’affaire Traoré, dénonçait les violences policières en France : le problème de fond, a-t-il rétorqué en substance, ce sont les trafiquants de drogue et les « formes les plus agressives du communautarisme ». (...)
La question raciale, c’est toujours l’ailleurs : les États-Unis, l’Afrique du Sud ou le Brésil. (...) Scruter les plaies américaines permet aux élites françaises de tenir celles de l’autre rive pour révolues, sinon sans matière. Une longue-vue offre à la conscience plus d’aise qu’un miroir – fût-il de poche. (...)
il ne saurait être de « racisme structurel » qu’américain… (...)
Partout, le feu sous nos yeux. C’est au prochain, dans le Minnesota comme dans le Val d’Oise, que nous ne pouvons que travailler.