
Sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, on ne parle pas politique, on fait la politique : au quotidien, dans les actes communs. Tout en observant ce qui se passe sur la scène officielle. Avec une conviction : il faut agir plutôt que déléguer.
Rien que le week-end dernier, un Festnoz célébrait la fin de la construction d’un hangar tout de bois et d’ardoises flambant neuf, et la manif’ du Premier mai faisait danser ensemble les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et les syndicats de salariés de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique.
« Ce qui change ici, c’est la façon de discuter des élections : il y a moins de fatalisme. On sait qu’ici on peut reprendre notre vie en main sans attendre la prochaine échéance électorale », avance Louise (pseudonyme, comme tous les prénoms de cet article). Chacun y va tout de même de sa théorie, de son ressenti. Certains reconnaissent qu’ils auraient été tentés de voter pour Jean-Luc Mélenchon, ou Philippe Poutou. D’autres avouent leur trouille que Marine Le Pen passe. Tellement qu’ils auraient peut-être été capables de mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. A l’inverse, il y en a qui auraient peut-être donné une voix à Marine Le Pen, afin de précipiter l’effondrement du système et un « sursaut social ». « Mais c’est jouer avec le feu », admet l’un d’entre eux. Il paraît même qu’il y en a qui votent, assurent-ils tous à Reporterre. On a cherché, on n’a pas trouvé. La Zad semble surtout peuplée de ceux que l’on appelle les « abstentionnistes ». (...)
Impossible, quand on vit dans ce territoire arraché à l’autorité de l’État, où l’on tente de repenser la politique et les rapports sociaux de façon horizontale, d’attendre quoi que ce soit de cette institution qu’est le vote. « Voter, c’est comme accepter d’être dépossédés de nos vies, adhérer à un système qui nous exploite, explique Paul. À l’échelle de la France, un gouvernement ne peut être proche du terrain. Il a forcément une approche technicienne des problèmes, alors que les solutions sont philosophiques, existentielles, affectives. Il y a une idée anarchiste qui dit que celui qui donne sa voix n’a plus rien à dire. »
Inciter les gens à mettre un bulletin dans l’urne, cela pourrait même être dangereux. « Voter pour des gens qui ne font rien pour toi, cela nourrit le désespoir », estime Pierrot, qui observe la montée du FN. « Et pour paraphraser un film de mon enfance [L’Histoire sans fin, NDLR] : les gens qui ont perdu l’espoir sont faciles à soumettre », ajoute-t-il. (...)
Sur la Zad, le mot abstentionniste semble perdre son sens, tellement la politique imprègne chaque geste du quotidien. Les zadistes seraient plutôt « des activistes, car nous faisons sans cesse de l’action directe », corrige Paul. « Le vote ou les pétitions, c’est demander aux politiciens de faire quelque chose pour nous, c’est de l’action indirecte. Alors que l’action directe, c’est agir par nous-même pour changer le monde. » (...)
Ce n’est pas pour autant que dans le bocage, on fait totalement fi des considérations électorales. Tout d’abord parce que la période est propice pour peser sur les décideurs politiques. « En 2012, on voyait que Hollande pouvait être élu, que l’on pouvait avoir une influence sur le PS. Avant le premier tour, les composantes du mouvement anti-aéroport ont organisé la première grosse manifestation unitaire, et dans la foulée une grève de la faim. On a obtenu de Hollande l’engagement qu’il n’y aurait pas d’expulsions des habitants historiques avant l’épuisement des procédures juridiques », se rappelle Camille.
Ensuite parce que, quel que soit le résultat de la présidentielle puis des législatives, cela aura une incidence sur la Zad. Si Marine Le Pen était élue ? On n’y pense pas trop. Avec les mouvements sociaux nantais, plusieurs personnes de la Zad se sont impliquées dans l’organisation de la plus grosse manifestation anti-FN de cette période électorale, à l’occasion de la venue de Marine Le Pen à Nantes. La présidente du FN a indiqué qu’elle respecterait le résultat du référendum qui a dit oui à la construction de l’aéroport, et n’a pas de mots assez durs pour qualifier les occupants de la Zad.
Du côté d’Emmanuel Macron, la recension de ses déclarations sur le sujet fait plutôt rire, ici. Notamment celle de nommer un médiateur qui « calmera les choses », afin d’éviter une intervention de la police ou de l’armée pour évacuer les occupants de la zone. On se demande bien qui aurait ce pouvoir magique. Alors que la perspective d’une expulsion s’était éloignée avec l’arrivée de la période électorale, le nouveau pouvoir pourrait décider d’agir rapidement. D’autant plus que l’Union Européenne vient de donner son feu vert au projet d’aéroport. Bref, tout nouveau gouvernement sera forcément « un ennemi », soulignent plusieurs habitants. (...)
« Et puis, le regard porte plus loin que la lutte contre l’aéroport. On sait, que ce soit Macron ou Le Pen, que ce sera le saccage, notamment sur les questions de travail et d’émigration », rappelle Louise. Du coup on s’inquiète et on espère à la fois. Les mouvements sociaux, les militants, les activistes, sauront-ils faire face au nouveau pouvoir ? (...)