Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Philippe Martinez (CGT) : « Une telle attaque contre le monde du travail, les chômeurs et les retraités est inédite »
Article mis en ligne le 8 septembre 2017

Remonté par une profonde réforme du code du travail, plus rétrograde encore que la loi El Khomri, le mouvement social s’apprête à battre à nouveau le pavé. A l’heure de jauger le rapport de force, et pour mieux en cerner les enjeux, Philippe Martinez, le leader de la CGT, a répondu aux questions de Basta !. L’occasion de revenir sur les points les plus contestés des ordonnances, et sur la politique gouvernementale ouvertement inégalitaire. Mais aussi d’engager une réflexion sur les nécessaires évolutions du syndicalisme, face aux puissants bouleversements du monde travail, et sur la manière de faire avancer des alternatives. Entretien.

Basta ! : Les ordonnances réformant le code du travail marquent, selon vous, une étape vers « la fin du contrat de travail ». Pourquoi ?

Philippe Martinez : A partir du moment où un accord d’entreprise prévaut sur le contrat de travail, c’est de fait la fin du contrat de travail. Les ordonnances prévoient que, demain, un accord d’entreprise s’appliquera à tous. Nul besoin de signer un avenant au contrat en cas de modification du temps de travail et de la rémunération. Ceux qui refuseront seront licenciés sans indemnités et sans recours. Donc le contrat de travail ne prévaut plus. (...)

Des garde-fous existent mais cela demeure très fragile. La seule garantie, c’est qu’il faut désormais une majorité pour signer un accord. Celui-ci dépendra des modalités de la négociation et de la manière dont sera pris en compte ce que pensent les salariés. Souvent l’employeur dit « soit vous signez, soit on ferme la boîte ». J’appelle cela du chantage. Certains estiment que le rôle des branches est renforcé. C’est incontestable, mais, avant, ces prérogatives étaient inscrites dans la loi. Les négociations dans les branches ont été renforcées au détriment du principe républicain d’égalité. (...)

Les CHSCT ont leur mot à dire dans toutes les réorganisations du travail. Ils ne sont pas seulement là pour vérifier si un salarié porte des chaussures de sécurité ou un casque. Ils sont consultés sur l’organisation. C’est une institution qui a un lien très fort avec les salariés, davantage encore que le délégué du personnel ou les élus du comité d’entreprise. Leur suppression représente un danger pour la sécurité et l’organisation du travail. Une commission « hygiène et sécurité » sera créée au sein du nouveau conseil social et économique, mais ses prérogatives en matière d’expertise et d’ester en justice sont floues. En cas d’accident ou de suicide, sera-t-il encore possible de remettre en cause l’organisation du travail qui – rappelons-le quand même – est imposée par l’employeur ? (...)

Derrière cette suppression, le risque est aussi une professionnalisation du syndicalisme. Les élus du personnel, dont le nombre sera fixé ultérieurement par décret, cumuleront les fonctions actuelles de membre du comité d’entreprise, délégué du personnel et membre du CHSCT. Or, nous passons déjà trop de temps en réunion ! A quel moment, dans ces conditions, va-t-on rencontrer les salariés ? Même des super délégués ne connaissent pas tous les problèmes d’un service ou d’un atelier de leur entreprise. Ce sont les salariés qui nous alertent sur ces questions.

Les élus du personnel risquent de devenir des experts du syndicalisme complètement déconnectés des réalités du travail, et de se retrouver entre gens de bonne compagnie, comme on en voit souvent sur les plateaux télé, pour décider à la place de la majorité des salariés de ce qui est bien ou non pour eux. (...)

En cas de rupture conventionnelle, la possibilité d’un recours aux prud’hommes pour le salarié constituait une monnaie d’échange, pour mieux négocier avec son employeur. Les employeurs savent désormais à l’avance combien un licenciement potentiellement illégal ou abusif va leur coûter. Cela change les rapports de force ! Et inciter l’employeur à diminuer les indemnités consenties lors d’une négociation de gré à gré. (...)

les oubliés de la société, ce sont aussi les chauffeurs Uber ou les coursiers à vélos. Quand ces « travailleurs 3.0 », selon Macron, sont malades, ils n’ont rien et perdent leur boulot. Ils veulent ressembler aux ringards que nous sommes, c’est à dire disposer de droits ! Les livreurs à vélo de Deliveroo se battent en ce moment pour obtenir une grille de salaires, des cotisations sociales, des délégués du personnel. Nous devons revenir à certains fondamentaux que l’on a oubliés, y compris dans la CGT : une cotisation sociale, c’est un salaire différé. Au contraire de ce que pense le Medef, l’important ce n’est pas ce qui figure en bas à droite de la fiche de paie [le salaire net] mais ce qui est en haut [le salaire brut]. Le salaire, c’est à la fois ce que l’on touche à la fin du mois et ce que l’on perçoit tout au long de sa vie, en cas de maladie puis à la retraite. (...)

Voyez-vous des points positifs dans ces ordonnances ?

2,5 ! C’est le nombre d’avancées. Il y a évidemment le principe des accords majoritaires, qui devront désormais être signés par des syndicats représentant 50% des voix, et non plus 30% comme précédemment. On reconnaît également, enfin, qu’il existe des discriminations syndicales : quand un salarié a un mandat syndical, son déroulement de carrière est souvent entravé. Enfin, nous avons signé un accord pour réglementer le télétravail, qui est bien souvent synonyme de surcharge de travail pour le salarié. Cela entre dans la loi, c’est plutôt une bonne chose.

Les deux mois de discussion entre syndicats et gouvernement ont-ils permis des avancées ?

Pas avec nous. Il faut souligner qu’aucun syndicat n’est satisfait. Comparé à l’année dernière, c’est une évolution notable.

Plusieurs rapports montrent que la dérégulation du marché du travail ne favorise pas la création l’emploi. Comment expliquez-vous l’entêtement du nouveau gouvernement dans cette voie ?

Le gouvernement n’est pas au service de ceux qui travaillent, mais au service de ceux qui profitent de ce travail. Lier courbe du chômage et protection des salariés est un faux débat. C’est la énième loi qui remet en cause des droits (...)

L’Allemagne est aujourd’hui un pays à deux vitesses : celle des branches, comme la métallurgie, où les syndicats ont un vrai pouvoir de négociation, et celle des mini jobs, des lois Hartz et de la précarité. En Italie, certains salariés se voient donner un coupon de travail, d’une ou deux heures de travail par semaine.

En Espagne, le nombre de salariés couverts par les branches a diminué. Une étude a été menée par les syndicats sur les cuisiniers, qui disposaient auparavant de leur convention collective. Résultat : leur salaire a baissé en moyenne de 30 %, puisqu’il n’y a plus de règles collectives. Partout, le nombre de chômeurs officiels diminue – quand vous travaillez une heure par semaine, on ne vous considère plus comme chômeur –, mais on renforce la précarité et le travail informel, non déclaré. L’objectif du gouvernement est de changer la nature de l’emploi, sur le modèle anglo-saxon. Ils n’ont pas encore proposé de référendums aux salariés pour savoir s’ils acceptaient ou non l’implantation d’un syndicat, comme aux Etats-Unis, mais ils pourraient y venir. (...)

Certains observateurs découvrent aujourd’hui la méthode de Macron et de Pénicaud. C’est une pratique issue des grandes entreprises : dire une chose différente à l’un et à l’autre, entretenir la division syndicale, ne pas réunir ensemble les acteurs. Cette méthode risque de se généraliser. L’objectif est de baisser le coût du travail. A l’occasion des 120 ans de la CGT, nous avons fait une exposition d’affiches : en 1906, quand nous commencions à revendiquer 8h de travail, 8h de loisirs et 8h de sommeil par jour, le patronat évoquait déjà l’augmentation du coût du travail. C’est loin d’être une idée nouvelle !

Renforcement du pouvoir des employeurs sur les salariés, coupes budgétaires dans les APL, cadeau de 4 milliards d’euros aux plus fortunés avec la réforme à venir de l’ISF, suppression de la taxe exceptionnelle sur les dividendes, dans le contexte d’une année record pour les actionnaires... En plus de trente ans de syndicalisme, avez-vous déjà été confronté à une telle vague de politiques inégalitaires ?

C’est du jamais vu. Un vrai programme néolibéral sur tous les sujets, à vitesse accélérée. Une telle attaque contre le monde du travail, y compris les chômeurs et les retraités, est inédite.

Après l’échec de la mobilisation, pourtant importante, face à la loi El Khomri, comment s’opposer efficacement aux régressions sociales ? Comment lutter contre les ordonnances sur le travail, dans ce contexte de profondes divisions du mouvement syndical ?

Nous devons savoir balayer devant notre porte. Notre syndicalisme doit prendre en compte ce qui a bougé dans le monde du travail : les start-ups, les « ubérisés », un monde du travail qui a explosé. Le prendre en compte ne signifie pas s’adapter à des choix imposés de l’extérieur, mais écouter les travailleurs concernés. (...)

Quand j’ai commencé à travailler à Renault Billancourt, nous étions encore 20 000 salariés. Les vigiles du site étaient métallos, les jardiniers qui tondaient la pelouse étaient métallos. Tous travaillaient chez Renault. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de boîtes de prestations. Soit nous considérons que ces salariés-là, quel que soit leur statut, sont transparents. Soit nous estimons que nous vivons au sein d’une communauté de travail où les intérêts sont convergents mais les préoccupations différentes. Nous devons partir des réalités de ceux qui travaillent sans leur imposer de mot d’ordre. Notre capacité de mobilisation dépend de notre faculté à voir le monde tel qu’il est et à n’oublier personne.

Pourquoi cette prise de conscience prend-elle autant de temps ?

Elle n’est pas acquise. Il suffit de se rendre dans une entreprise pour le constater. (...)

Quel objectif fixez-vous à la mobilisation qui s’enclenche le 12 septembre ? Le retrait des ordonnances est-il vraiment envisageable ?

Évidemment. Mais nous devons proposer des alternatives, car l’existant n’est pas satisfaisant. Le retrait des ordonnances, c’est revenir à la loi El Khomri avec laquelle nous n’étions pas d’accord ! Donc nous devons être cohérents, et proposer autre chose. (...)

Malgré le jeu médiatique qui consiste à nous cantonner dans le rôle de contestataires, nous portons des propositions sur bien des sujets. Nous menons actuellement une campagne pour conjuguer développement industriel, préservation de l’environnement et économie circulaire. Nous travaillons sur les services publics, face à la désertification dans certains territoires. Nous réfléchissons au partage des gains de productivité que permet le numérique. Mais les gens en face, avec qui nous discutons, fixent un cadre tellement étroit que cela ne nous permet pas de développer ces propositions. (...)