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Pierre-Alain Mannoni est poursuivi en justice pour avoir secouru des réfugiés, son procès se tiendra au Palais de Justice de Nice a la date confirmé du mercredi 23 novembre 2016 à 13h30
Pourquoi j’ai secouru des réfugiés
Article mis en ligne le 21 novembre 2016

J’ai 45 ans et 2 enfants. Je suis fonctionnaire de l’Education Nationale, Ingénieur d’Etude dans un laboratoire de recherche du CNRS / Université Nice Sophia Antipolis et enseignant à la Faculté des Sciences. Je n’étais pas jusqu’à présent militant politique ou associatif.

Dans ma famille on est Corse. J’ai passé toutes mes vacances au village de Pero-Casevecchie dans la maison de mon grand-père, le médecin du canton qui faisait ses visites à cheval. Au village, presque 50 ans après sa mort, les gens en parlent encore car que ce soit en pleine nuit à l’autre bout du canton, que ce soit un bandit blessé ou un paysan qui n’ait pas de quoi payer, il soignait. Dans les récits que me racontait mon père et dans les expériences que j’ai vécu là-bas, j’ai appris et compris qu’on ne laisse pas quelqu’un en danger sur le bord de la route, d’abord parce que c’est la montagne mais aussi parce que c’est une question de dignité. Ou d’honneur comme on dit.

J’ai la chance d’avoir des enfants et en tant que père avec la garde partagée, j’ai pris cette tâche pas évidente très au sérieux. Pas évidente car aujourd’hui le monde va mal que ce soit d’un point de vue social ou environnemental alors au delà d’une “bonne situation”, ce que je souhaite pour mes enfants, c’est qu’ils soient l’espoir d’un monde meilleur.

Le Dimanche 16 octobre en rentrant en voiture de la fête de la brebis à la Brigue avec ma fille de 12 ans, nous avons secourus 4 jeunes du Darfour. La Brigue est un village français dans la vallée de la Roya qui est frontalière de Vintimille en Italie. (...)

C’était ma première action de secours envers ces “migrants”. Pourquoi je l’ai fait ce jour là ? Jusqu’à présent avec mes enfants j’avais déposé des vêtements à la croix rouge à Vintimille, des chaussures, un sac à dos, pour aider mais aussi pour leur montrer qu’il y a des injustices dans le monde et que chacun de nous peut faire quelque chose... Là c’était la deuxième fois que je voyais un groupe sur le bord de la route. La première fois j’avais hésité, je n’avais pas eu le courage, mais cette fois-ci il y avait ma fille et j’ai pu lui montrer l’exemple. (...)

Ce sont 3 filles qu’on vient d’aller chercher à l’étage. Elles sont contentes de ma proposition me dit on car elles sont attendues par une association à Marseille pour être soignées. Quand je les vois mon coeur se déchire. Elles ont peur, elles ont froid, elles sont épuisées, elles ont des pansements aux mains, aux jambes, l’une boite en faisant des grimaces de douleurs et l’autres ne peut pas porter son sac avec sa main blessée. J’apprendrais plus tard que l’une d’elles est la cousine de la jeune fille tuée sur l’autoroute vers Menton quelques semaines avant. Elles ne parlent ni français, ni anglais. Il faut marcher une centaine de mètres pour rejoindre ma voiture et cela prend très longtemps car l’une marche très difficilement. J’en profite pour essayer de savoir de quel pays elles sont. Erythrée. Une fois dans la voiture, je constate qu’elles n’ont jamais utilisé de ceinture de sécurité. Je suis dans l’embarras de m’approcher d’elles qui ont peur pour leur mettre la ceinture. Elles n’ont pas peur de moi mais dans leurs yeux je lis qu’elles savent que rien n’est gagné. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’au long des 6000 km qu’elles ont fait pour arriver jusqu’ici, elles ont fréquenté la mort et le cortège d’horreurs qu’on n’ose imaginer. Je démarre avec à mon bord ces filles dont je dois prendre soin et que je dois amener à bon port. J’éteins la radio, la situation est suffisamment incroyable.

Nous n’arriverons pas à Nice. Au péage de la Turbie les gendarmes nous arrêtent et nous conduisent à la Police de l’Air et des Frontières. Ils m’ont séparé des Érythréennes. Ce n’est pas clair ce qu’ils ont fait d’elles mais je ne crois pas qu’elles aient été soignées. Elles auraient été renvoyées au sud de l’Italie comme ça se fait souvent. Les policiers m’ont dit qu’au moins l’une d’elle était mineure. Je n’ai pas réussi à les protéger. (...)

Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire et que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple.

Pierre-Alain Mannoni

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