
« Ok on prend le sujet. On te fera un bulletin de salaire à ton nom et ensuite tu t’arranges avec le photographe. Ah, c’est pas possible ? Ben, on prend pas le sujet alors » ; « Des indemnités de congés maternité... Hum, pas sûr que vous en ayez » ; « Oups, on a oublié de vous payer ce mois-ci, ça arrivera à la fin du mois prochain »...
Voilà un florilège de la vie de pigiste... en France !
Nous pigistes, journalistes indépendants, nous vivons la crise des médias de plein fouet. En cause, l’arrivée du tout gratuit sur Internet, la baisse de la pub dans les journaux papiers qui ne font plus le plein de lecteurs, la concentration des médias aux mains de quelques gros groupes, le statut d’auto-entrepreneur -illégal pour nous mais largement utilisé, parfois à la demande des rédactions- qui permet aux journaux d’économiser les cotisations sociales, alors que dans certaines rédactions, les salaires démesurés des chefs en feraient pâlir plus d’un.
Variable d’ajustement des journaux, nous subissons depuis 2008 une baisse constante des tarifs des articles et une dégradation croissante de nos conditions de travail. (...)
Qui peut accepter d’être payé parfois plus d’un an après parution d’un article ? D’avancer tous ses frais de reportage, c’est-à-dire de payer pour travailler ? De voir le tarif fixé d’un article revu à la baisse en cours ou en fin de production, quand il n’est pas simplement annulé sans contrepartie ? De n’avoir pas de réponse des rédacteurs en chef, qui sont, certes nos supérieurs hiérarchiques mais aussi des confrères ?
Quand nous nous appelons, avec un brin d’autodérision, les « forçats de l’information », c’est parce que, derrière les pages bien calibrées de vos journaux, l’information est souvent proposée, relayée, vérifiée par des pigistes, qui proposent des angles originaux, partent en reportage en France et à l’étranger et fournissent du travail de qualité, à moindre coût pour les rédactions. Mais qui sait comment survivent la plupart d’entre nous ? (...)
Pour bien comprendre notre parcours du combattant, voici les grandes étapes de notre quotidien. (...)
Sur les 36 000 journalistes encartés, 22% sont des pigistes. Ce chiffre grossit d’année en année, puisque 66% des nouvelles cartes sont délivrées à des CDD ou des pigistes. Contrairement aux idées reçues, nous ne sommes pas des "petits jeunes", puisque 57% d’entre nous ont plus de 35 ans. Le salaire médian est de 1961 euros bruts, contre 3469 euros chez les CDI en rédaction ! 30% des pigistes gagnent eux moins de 1500 euros bruts. Précisons que nous ne connaissons pas les 35h et que nos semaines sont élastiques à l’infini.
Les spécialistes de l’emploi remarquent que la féminisation d’une profession va souvent de pair avec sa précarisation. Le journalisme n’y échappe pas ! Alors que seulement 36% des femmes sont rédactrices en chef en presse écrite, le chiffre tombe à 23% en TV et en radio. Quant à la pige, les femmes sont désormais majoritaires, représentant 51,5% des indépendants et 56% des CDD. (...)
Conséquences
Au-delà de nos cas individuels, c’est la qualité même du journalisme qui est remise en question. Travailler constamment dans l’urgence, passer moins de temps sur nos sujets, quitte à aller trop vite, être rémunéré au lance-pierres, c’est aussi faire du travail de moins bonne qualité et créer les conditions de la perte de confiance des lecteurs.
Pour sortir du constat victimaire, nous aimerions fournir des outils pour restaurer un « partenariat » sain avec les rédactions : (...)
Liste des signataires [2]
– Le collectif Youpress
Le collectif Première personne
Les Journalopes
La Fourmilière
Press On
Les Incorrigibles
Le Terrier
Le collectif 2026
Presse-Papiers
Le collectif de l’Est
Les Journalistes atterrés
Le collectif Argos
Les plumé.e.s
Callipige
Extra-Muros