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Revue Ballast
Pınar Selek : « Comment concevoir une révolution ? »
#revolution #alternatives
Article mis en ligne le 24 janvier 2023
dernière modification le 23 janvier 2023

En ce mois de de janvier 2023, les avocats de l’écrivaine et sociologue Pınar Selek reçoivent une notification de la Cour de cassation de Turquie : une demande d’emprisonnement immédiat assortie d’un mandat d’arrêt international. « Ce procès dure depuis 25 ans. La moitié de ma vie », répond aussitôt l’exilée franco-turque dans une lettre publique. Elle ajoute : « Je vous le promets, je ne lâcherai rien. » (...)

En 2009, de nouveau menacée d’incarcération malgré plusieurs acquittements, Pınar Selek s’envolait pour l’Allemagne puis pour la France, devenant au fil du temps une voix importante du paysage anticapitaliste et féministe français. En signe de solidarité, nous publions cet entretien paru dans un de nos numéros papier.

« On n’a pas besoin de "isme" », avez-vous dit. Même pas de l’anarchisme, donc ?

(Elle rit) Le terme « libertaire » me paraît plus séduisant. Murray Bookchin a dit un jour qu’on emploie ce terme car les gens ont peur du mot « anarchisme », mais ce n’est pas la raison pour laquelle je le revendique. Si l’anarchisme s’oppose en effet à toute forme de hiérarchie, la perspective « libertaire » offre une ouverture plus ample, une affirmation de ce que l’on veut. Je ne peux pas me définir uniquement par un « isme », d’autant que j’essaie toujours de déconstruire les catégories auxquelles je fais face — même s’il reste difficile, parfois, de leur trouver des alternatives. Par exemple, être « anticapitaliste » et « antimilitariste », c’est quelque chose d’important à mes yeux. Je me définis ainsi.

Et « féministe » ?

C’est différent, puisqu’il s’agit à la fois d’une critique du patriarcat et du sexisme, qui s’articulent avec tous les autres pôles de domination. À quoi s’ajoutent, au cœur du féminisme, une éthique et des expériences sociales. Au final, je ne sais pas ce que je veux faire avec tous ces « isme » ! (rires) Se définir « anti », c’est facile. Je tente de me dire que ça ne suffit pas, qu’il faut avancer. J’ai donné une conférence dans plusieurs villes d’Italie, qui s’intitulait « Sans féminisme, pas de lutte efficace contre le fascisme » : à chaque fois, je l’ai conclue en disant que je revendique mon féminisme, mais qu’on ne peut rien changer en étant seulement féministe. Ces « ismes » doivent être vus comme autant de constructions dynamiques. (...)

Vous semblez préférer le terme « révolutionner » à celui de « révolution ». Qu’apporte l’emploi du verbe ?

Ce sont là, justement, mes pôles anarchiste et féministe qui se rencontrent. La terminologie reflète des conceptions du monde et les changements sociaux qui y sont liés. (...)

Sans perspective globale, radicale, de transformation multidimensionnelle, comment concevoir une révolution ? J’aime mieux penser les manières de révolutionner tout à la fois le quotidien, les discours, nos corps, l’art, la production. Car c’est lié. Si une révolution politico-économique ne révolutionne pas notre vie de chaque jour, ce n’est pas une révolution radicale. On peut instaurer une révolution au sein d’une sphère tout en maintenant en place les autres rapports de domination — créant, parfois, la récupération, le détournement même de cette révolution. (...)