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le Monde Diplomatique
Plates-formes de rééducation
/Pierre Rimbert
Article mis en ligne le 3 janvier 2021

Trois semaines avant l’élection américaine du 3 novembre 2020, le New York Post (14 octobre), un tabloïd conservateur, publie un scoop susceptible d’embarrasser le candidat démocrate, M. Joseph Biden : des courriers électroniques issus de l’ordinateur de son fils Hunter indiqueraient que ce dernier a été rémunéré par une entreprise ukrainienne désireuse de profiter de l’influence de son père. La diffusion de ces « révélations » se heurte à un obstacle inattendu : Facebook et Twitter, deux entreprises dévouées, comme chacun sait, à la libre communication des pensées et des opinions, décident de censurer l’information.

Quelques heures après la mise en ligne de l’article, M. Andy Stone, un responsable des relations publiques de Facebook (et ancien communicant du Parti démocrate), annonce : « Nous réduisons sa diffusion sur notre plate-forme » (@andymstone, Twitter, 14 octobre). Simultanément, Twitter interdit à ses utilisateurs de partager tout lien vers l’enquête du New York Post, avant de… suspendre le compte du quotidien. (...)

Mais que vaut la censure sans rééducation ? Apparemment très inspirés par les pratiques du Parti communiste chinois en matière de contrôle du débat d’idées, les patrons libéraux de la Silicon Valley ont lancé une vaste campagne de rectification à destination des utilisateurs égarés au point de s’informer ailleurs que dans les médias jugés « fiables » et, à ce titre, sponsorisés par les géants du numérique. Depuis août 2020, Facebook impose un bandeau d’alerte sur les messages étiquetés suspects par ses « vérificateurs » sous-traitants : « faux », « information partiellement fausse », « cette publication manque de contexte », proclament ces bannières, qui renvoient à des articles de la presse dominante. On imagine l’épouvante des abonnés si les services postaux américains chargés d’acheminer la presse dans les boîtes aux lettres barraient d’un tampon « fake news » les exemplaires du New York Times faisant état d’un énième complot russe imaginaire et incitaient les destinataires à se brancher sur la chaîne d’information en continu RT, proche du Kremlin.

Quand il ne supprime pas les messages déviants pour cause d’incompatibilité avec sa « politique de contenus », Twitter commente lui aussi les publications de ses utilisateurs. (...)

Qu’elles émanent d’une autorité parentale, partisane, épiscopale ou médiatique, les admonestations du type « Ne lisez surtout pas ceci, lisez cela ! » agacent sans convaincre, au grand dam du parti de la vertu. Les rectifications apportées par Twitter aux calembredaines de M. Trump sur la fraude n’échappent pas à la règle, comme le démontre une enquête menée par des universitaires sur ce cas précis (1). Le résultat se déploie en deux temps. Il s’avère d’abord que le tweet de M. Trump ne change en rien l’opinion des lecteurs sur le vote par correspondance, quelle que soit leur affiliation politique. « Les corrections de Twitter, en revanche, provoquent des effets très différenciés, expliquent les chercheurs. Chez les démocrates, elles font baisser la croyance dans la fraude postale. Chez les républicains, on observe exactement l’inverse. La croyance dans la fraude électorale est plus élevée chez les sujets exposés aux corrections et aux avertissements que dans le groupe de contrôle — la preuve d’un effet boomerang. » En somme, la campagne de rééducation renforce le crédit des « fake news » chez ceux qui y croient déjà et qu’on cherche à instruire du contraire.

Même avec intelligence, prendre les gens pour des imbéciles reste un pari perdant.