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Médiapart
Pour dénoncer la loi sur la fin de vie, Alain Cocq meurt de faim et de soif
Article mis en ligne le 9 septembre 2020

Lourdement handicapé, Alain Cocq estime que sa vie n’est plus digne et a cessé son alimentation et son hydratation artificielles. Il se saisit ainsi de la seule liberté qu’offre aux personnes handicapées la loi Claeys-Leonetti. Il la dénonce aussi violemment, en voulant montrer son agonie.

Jusqu’à son dernier souffle, Alain Cocq est un militant. Cet homme de 57 ans, habitant de Dijon, a perdu l’usage de ses jambes dans un accident professionnel à 23 ans. Il n’a depuis cessé de défendre les droits et la visibilité des personnes handicapées. En 2003, il sillonnait les routes de France, en poussant son fauteuil à la force de ses bras, interrogeant d’une pancarte : « Qui et que sommes nous ? » (...)

Mais son handicap s’est aggravé et l’a peu à peu cloué au lit. Il s’est donc tourné un temps vers la politique classique, en adhérant au Parti socialiste. Puis sont arrivés les gilets jaunes, qu’il a rejoints corps et âme : il a campé avec eux dans les rues de Dijon, dans sa vieille ambulance personnelle.

Et c’est à la manière directe, sans filtre, des gilets jaunes, qu’il a entamé son dernier combat. « Catholique non pratiquant », il refuse les termes « suicide assisté » ou « euthanasie ». Dans son courrier du 20 juillet au président de la République, il préfère parler de « fin de vie dans la dignité avec assistance médicale active ».

« Parce que je ne suis pas au-dessus des lois, je ne suis pas en mesure d’accéder à votre demande », lui a répondu Emmanuel Macron le 3 septembre. Les médecins doivent mettre en œuvre « tous les moyens à leur disposition » pour faire respecter le droit de toute personne à avoir « une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », dit la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. Mais ils ne peuvent pas abréger une vie. Le suicide assisté est au contraire pratiqué en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, au Luxembourg, ainsi que dans trois États américains. (...)

. Dans sa première vidéo, datée du 4 janvier 2018, tournée à l’hôpital, il est très amaigri, et mûrit déjà l’idée de sa fin de vie : « Je suis très fatigué, j’espère que cela va bientôt s’arrêter, de quelque manière que ce soit. Jusqu’à mon dernier souffle je me battrai, mais quand on est fatigué, quand le corps n’a plus la force, même en ayant le meilleur mental, on n’y peut rien. »

Pendant deux ans et demi, il a documenté le quotidien d’une personne lourdement handicapée, que la souffrance ne quitte presque jamais, en forme de montagnes russes et d’allers-retours incessants entre le domicile et l’hôpital.

« Je me trouve dans la situation d’un esprit sain, confiné dans un corps dysfonctionnel et perclus de douleur », a-t-il écrit en juillet au président de la République (...)

.il est « citoyen français et refuse de s’expatrier pour mourir », rapporte Sophie Medjeberg. Vivant d’une pension d’invalidité inférieure au SMIC, il a aussi très peu de moyens.

Le vendredi 4 septembre, dans sa dernière vidéo, il a voulu rassurer ses amis. « Tous les traitements sont arrêtés sauf les anti-douleurs. Je maintiens la morphine. En cas de nécessité, je peux aussi prendre de la kétamine, un anesthésiant. (…) Ce sera très dur à supporter, mais au final, par rapport à la somme de ce que j’ai déjà vécu, et par rapport à la somme de ce qui m’attend, de la dégradation du corps qui m’attend, ce ne sera rien. »
(...)

Pour elle, « Alain Cocq veut montrer comment meurent de nombreuses personnes en France. Mais le choix qu’il fait est singulier, militant, il va au bout de ses idées. Les malades ont le droit de ne pas être les otages de la médecine et d’arrêter leurs traitements. C’est une protection contre l’obstination déraisonnable. Mais la loi offre beaucoup d’autres solutions que de cesser de s’alimenter. Et même face à un tel choix, nous pouvons intervenir pour soulager, limiter l’anxiété et l’inconfort ».

Aux militants du suicide assisté, Claire Fourcade rétorque : « Il y a souvent une grande différence entre la représentation de la fin de vie et la manière dont elle est vécue. Nous cherchons avec les malades des solutions pour soulager leurs craintes et leurs souffrances. »

Mais elle reconnaît les limites, criantes, de sa discipline médicale : « Tous les patients n’ont pas accès aux soins palliatifs, parce que nous n’avons pas assez d’équipes pour intervenir au domicile, dans les Ehpad, les établissements. La loi ne peut pas être appliquée partout, faute de moyens. »

De son côté, le délégué général de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité, Philippe Lohéac, juge les médecins de soins palliatifs « dogmatiques. Ce sont les pays qui ont légalisé l’aide active à mourir qui ont aussi les soins palliatifs les plus développés ». (...)