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Pour que les communs numériques deviennent un pilier de la souveraineté numérique européenne
Article mis en ligne le 20 juin 2022

Depuis ses débuts, Internet est l’objet d’une construction collective par des acteurs qui revendiquent son ouverture. Pour ces tenants des « communs numériques », le cadre juridique et les régulations d’internet sont insuffisantes et ne permettent pas de garantir « un Internet diversifié, non monopolistique et non privatisé ». Ils alertent l’Union Européenne : « Nous ne pouvons pas accepter de définir l’espace numérique comme un lieu où seules les dynamiques du capital et de la privatisation règnent ».

Trente ans après les débuts d’Internet, Tim Berners-Lee a déclaré lors du 25e anniversaire du Web en 2014 que « [...] nous avons encore un long chemin à parcourir pour qu’il [Internet] reste vraiment pour tout le monde. » Le numérique a changé tous les aspects de nos modes de vie, de la plus anodine des interactions sociales à notre accès à l’information. Il n’est plus une simple variable d’ajustement de nos politiques publiques, c’est un outil d’une grande complexité qu’il faut manier et réguler avec précaution. Avec la domination croissante des plateformes commerciales comme Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, etc, l’Internet s’est éloigné de sa vision originelle d’un domaine public en se privatisant, en collectant les données personnelles de ses utilisateurs et en les poussant à consommer toujours plus à travers la publicité ciblée. Pourtant, d’autres plateformes existent sur Internet qui proposent de véritables alternatives, construites grâce à l’intelligence collective. Wikipedia, Open Food Facts, OpenStreetMap, Firefox et bien d’autres, utilisés des millions de fois par jour dans le monde entier, se débattent encore dans cet écosystème. Il est temps de soutenir stratégiquement les biens communs numériques afin d’apporter aux citoyens européens davantage de bénéfices d’un monde interconnecté.

Dix-huit acteurs des biens communs numériques estiment que, comme toute politique d’envergure, les biens communs numériques nécessitent des moyens de développement que l’Union européenne doit réunir et employer. (...)

Promouvoir les communs numériques en Europe c’est aussi prendre la décision de préserver la vision originelle d’Internet, un Internet diversifié, non monopolistique et non privatisé. Les communs numériques offrent une occasion unique de créer une souveraineté numérique européenne non prédatrice. En s’appuyant sur l’intelligence collective et la mise en réseau des connaissances, ils remettent en question les stratégies d’enfermement poursuivies par certains gouvernements et grands fournisseurs de services numériques. Ils constituent en outre un levier important pour mettre en place une gouvernance multilatérale - au sens d’une contrainte mutuelle et mutuellement acceptée - de nos données et des outils qui les utilisent, et pour retrouver une part d’autonomie numérique stratégique.

Les communs numériques désignent les ressources numériques gérées comme des communs, ce qui signifie qu’elles sont produites et gérées par une communauté. Et quand on parle de communs, la question de la gouvernance est aussi importante que celle de la ressource. (...)

Ainsi, les communs numériques se reconnaissent par leur gouvernance démocratique : les règles sont édictées par la communauté qui va elle-même, par le biais de discussions, faire vivre la ressource, la développer, l’améliorer et l’enrichir. Les communs numériques ne pourraient d’ailleurs exister sans les acteurs du mouvement des logiciels libres et open source. L’essence même de ce mouvement se trouve dans quatre libertés fondamentales : la liberté d’utiliser, de copier, d’étudier et de modifier les logiciels ainsi que de redistribuer les versions modifiées. C’est pourquoi les wikis, les API ouvertes, les bibliothèques ouvertes, les logiciels et les licences libres constituent autant d’exemples de ressources que d’outils qui permettent aux étudiants, journalistes, activistes, à tous les citoyens d’accéder, librement, à la connaissance.

Nous, acteurs signataires des communs numériques, sommes d’accord sur un constat : l’espace numérique ne doit pas être laissé à la domination de quelques plateformes monopolistiques. La volonté actuelle de réguler le comportement de ces acteurs est bienvenue mais insuffisante (...)

Nous ne pouvons pas accepter de définir cet espace comme un lieu où seules les dynamiques du capital et de la privatisation règnent, et c’est pour cette raison que l’existence de la sphère publique numérique est fondamentale. Les citoyens doivent avoir accès à un espace public qui repose sur des infrastructures numériques publiques auto-gouvernées par les internautes eux-mêmes et non par des acteurs privés. Wikipédia est un exemple paradigmatique de cette vision (...)

Les plateformes commerciales dominantes ne pourront jamais parvenir à ce modèle pour la simple raison que les interactions entre les utilisateurs ne sont qu’un simple carburant pour leur modèle économique. Et c’est la raison pour laquelle les contenus douteux, polarisants ou haineux sont tellement promus sur ces plateformes : moins les utilisateurs interagissent, plus leurs revenus - issus des publicités - baissent. Ainsi, dans ce modèle économique les utilisateurs se voient présenter des contenus clivants qui les incitent à s’enfermer davantage dans des bulles informationnelles. Dans une économie de l’attention, ces plateformes favorisent les interactions virulentes entre les internautes. (...)

À l’occasion de l’Assemblée numérique de Toulouse des 21 et 22 juin, nous, acteurs signataires des communs numériques, saluons l’initiative lancée par les gouvernements français et européens relative au développement des communs numériques en Europe. Nous constatons que notre prochain grand défi est de faire comprendre à l’ensemble de l’écosystème qu’Internet ne doit plus être considéré comme un espace hostile présent uniquement pour fragiliser les États et leurs citoyens. Internet peut et doit être un espace diversifié et bénéfique à tous, où, grâce à l’intelligence collective, de belles choses peuvent être réalisées. (...)

Nous attendons donc que de réelles actions soient mises en place à la suite de ces déclarations politiques et nous appelons l’équipe de travail interétatique à :

  • Améliorer le cadre juridique (...)
  • Soutenir l’infrastructure existante des communs numériques : (...)
  • Mettre en place un système de financement européen pour faciliter le déploiement d’infrastructures publiques numériques fondées sur les principes des communs numériques. (...)
  • Assurer une gouvernance européenne ou multirégionale des communs numériques, évitant toute dépendance à des gouvernances exclusivement non-européennes
  • Structurer un écosystème européen de l’industrie numérique basée sur l’innovation ouverte et l’interopérabilité
  • Créer un fonds de soutien aux logiciels libres, plateformes coopératives et autres communs numériques. Ce fonds doit fournir des financements pérennes et être co-gouverné par les acteurs des communs numériques eux-même.
  • Poursuivre et structurer les démarches de partenariats publics-communs numériques. (...)
  • Il est urgent d’apporter une nouvelle vision ainsi qu’un renouvellement du mode de pensée sur ces questions. (...)
  • Nous pensons que l’Europe a la capacité et le devoir de façonner la société numérique de demain. (...)