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Observatoire des inégalités
Pour réduire les inégalités à l’école, il faut repenser le rapport au savoir
Article mis en ligne le 18 avril 2017
dernière modification le 14 avril 2017

Pour sortir du débat stérile entre les conservateurs et les pédagogues en matière d’inégalités scolaires, il faut s’intéresser à la façon dont le rapport au savoir se construit à l’école. Par Alain Beitone et Raphaël Pradeau, professeurs de sciences économiques et sociales.

(...) Il existe une piste rarement évoquée, celle des inégalités d’apprentissage liées à la façon dont le rapport au savoir se construit. Nous avons expliqué ailleurs les méfaits de l’opinion pédagogique dominante aujourd’hui à l’œuvre sous forme de « pratiques interdisciplinaires » et autres « classe inversée » [1]. En rupture avec les idées reçues sur l’éducation, il faut refonder les apprentissages sur le principe « d’égalité des intelligences » et de l’accès de tous les élèves aux savoirs nécessaires à l’autonomie intellectuelle.

Il faut tout d’abord penser l’école pour celles et ceux qui, pour l’essentiel, n’ont que l’école pour apprendre les savoirs formels. Les activités d’apprentissage doivent être conçues pour que l’école fournisse à tous les élèves les moyens de les réussir. Cela suppose de renoncer aux logiques de compétition, de classement, de filières hiérarchisées, de structures de relégation pour élèves en difficulté. L’école doit permettre l’accès aux moyens matériels des apprentissages : ressources bibliographiques, informatiques, culturelles, etc. Elle doit être organisée pour fournir à tous les élèves les étayages, les explications, les pistes de réflexion, les conseils méthodologiques, permettant de franchir les obstacles aux apprentissages.

Il faut ensuite rendre aux savoirs leur légitimité scientifique. Sous prétexte d’esprit critique, on fait comme si tout se valait, on distille une remise en cause de la validité des savoirs qui est intellectuellement démobilisatrice. Sous prétexte de participation des élèves, on accepte des « débats » qui s’inscrivent dans le registre de l’opinion plutôt que dans la logique de la recherche de la vérité [2]. C’est justement parce que tous les discours ne se valent pas que les savoirs sont émancipateurs. Il faut former les élèves au rationalisme critique, combiner refus des discours de sens commun et exigence de rigueur. Il faut rendre aux savoirs leur portée démystificatrice. Il faut mettre en œuvre, dans la pratique ordinaire de la classe, la satisfaction intellectuelle que l’on éprouve quand on parcourt « les sentiers escarpés de la connaissance », comme l’indiquait Karl Marx.

L’éducation doit voir grand. Elle doit confronter tous les élèves au plus haut niveau possible de la pensée dans tous les domaines en l’adaptant à l’âge des élèves. Elle ne doit pas se contenter d’enfermer les élèves dans un savoir du quotidien et du familier mais leur permettre d’éprouver « la saveur des savoirs » [3].

Il faut, dès l’école maternelle et tout au long de la scolarité, engager tous les élèves dans un rapport au langage qui permet l’accès à la pensée conceptuelle et qui permet aux élèves de faire preuve de réflexivité et de recul critique sur la façon dont on manie la langue écrite et orale. Cela suppose de refuser l’allant de soi. (...)

Il existe aujourd’hui des courants politiques conservateurs, voire réactionnaires, qui s’opposent explicitement à l’idée même de démocratisation scolaire et qui n’ont à offrir qu’un discours de restauration (retour à la blouse, au lever du drapeau, etc.). Mais, face à eux, le courant favorable à la démocratisation est divisé. Certains mettent en effet l’accent sur l’innovation pédagogique et d’autres sur le rôle central des savoirs. Il nous semble, dans l’intérêt même de l’école et des élèves (et particulièrement de ceux qui sont en échec dans l’école actuelle) qu’il faut sortir par le haut de cette « querelle de famille ». Il est possible et nécessaire, de refonder le fonctionnement de l’école en combinant les apports des mouvements pédagogiques (qui mettent l’accent sur les méthodes d’apprentissage) et les apports des didacticiens (qui mettent l’accent sur les savoirs). Si l’on ne parvient pas à réaliser cette synthèse, le risque est grand de voir s’amplifier les critiques et les ressentiments à l’égard de l’école, ce qui ne manquera pas de faire le jeu des conservateurs ou de ceux qui voient dans la marchandisation de l’éducation la condition de son efficacité. (...)