
Des montagnes de déchets totalisant 40 millions de tonnes chaque année. Un quasi monopole de Veolia et de Suez sur leur traitement. Des incinérateurs qui posent davantage de problèmes qu’ils n’en résolvent. Bienvenue dans les poubelles de l’agglomération parisienne.
Où les ordures se mélangent et s’agglutinent, se brûlent puis se stockent, sans pour l’instant que soient imaginées d’autres alternatives. A quand une vraie filière de tri et de compostage ? La région Île-de-France osera-t-elle se lancer dans le mouvement « zéro déchet » ? Enquête. (...)
Plus d’un million de tonnes de déchets dans une seule décharge ! Le chiffre a de quoi donner le tournis. En fait, parler des déchets en Île-de-France, c’est toujours parler de chiffres astronomiques. Un million de tonnes, correspond plus ou moins au poids des déchets ménagers collectés en un an à Paris intramuros. L’ensemble des Franciliens rejettent annuellement 5,7 millions de tonnes d’ordures ménagères, soit 481 kg par habitant. Aux poubelles des habitants s’ajoutent des déchets d’activité économique, parmi lesquels on distingue les déchets de chantier et les déchets de l’industrie, des services et du commerce.
Les premiers représentent l’immense poids de 30 millions de tonnes, constitué à 88 % de déchets inertes et très largement mis en décharge. La seconde catégorie ne représente « que » 5 à 6 millions de tonnes, mais produit tout de même l’essentiel des déchets dangereux d’Île-de-France. Cependant, on observe d’immenses disparités entre les différentes activités : un employé de boucherie génère ainsi en moyenne 65 kg de détritus par semaine, alors qu’un employé de boulangerie n’en jette que neuf. Au total, l’Île-de-France produit donc annuellement un peu plus de 40 millions de tonnes de déchets ! L’équivalent de ce que produit la France en blé !
Les ordures : des emplois dans les zones délaissées (...)
Revenons en arrière : en 1883, le préfet Eugène Poubelle met en place le conteneur qui porte son nom pour améliorer l’hygiène des rues parisiennes. Jusqu’à cette époque, les déchets étaient triés sur place : les biffins (récupérateurs-revendeurs) récupéraient l’essentiel des déchets non-organiques et les paysans prenaient le reste pour leur compost. Après quelques années de contestation, notamment par les biffins et les concierges, les ordures finissent enfermées. Mais il s’agit de trouver une technique pour traiter efficacement ces déchets massifs. Sinon l’air de Paris risque de devenir irrespirable. L’incinération devient le petit bijou technologique des années 1900. En quelques années, on construit quatre incinérateurs aux portes de Paris : à Ivry-sur-Seine (94), à Issy-les-Moulineaux (92), à Saint-Ouen (93) et à Romainville (93).
Dioxines, métaux lourds et cancers
L’incinération apparaît alors comme la solution parfaite : économique, socialement utile car elle permet la production de chaleur (et rapidement on crée la Compagnie parisienne de chauffage urbain pour revendre cette chaleur) et nécessitant un transport minimal. On comprend que Paris soit devenue aussi la capitale des incinérateurs, relookés en « centres de valorisation énergétique », une appellation plus compatible avec la notion de développement durable. « En terme strictement technique, on est très bons. On a un flux de déchets considérable et tout est traité localement », note Helder de Oliveira.
Mais la prise de conscience écologique s’est répandue, ainsi qu’une vigilance plus grande pour les questions de santé publique. Et l’incinération passe mal. Il s’agit d’une activité qui rejette une quantité importante de dioxyde de carbone – et c’est bien naturel pour une activité de combustion. Mais on s’est rendu compte, dans les années 1980, que les incinérateurs arrosaient également leur voisinage de dioxines. (...)
nos déchets, même réduits par l’incinération, rejoignent quand même d’autres montagnes de déchets. À Claye-Souilly, ce sont ainsi presque 140 000 tonnes de mâchefers qui sont entrées sur la décharge en 2011, dont plus de 60 % venant de l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux. Loin de représenter une alternative au « stockage », l’incinération nécessite donc la présence de décharges.
L’autre gros désavantage de l’incinération c’est son manque de souplesse : un incinérateur qui ne fonctionne pas au maximum de ses capacités coûte très cher. (...)
Sans oublier que les critères économiques ne sont pas à l’avantage du recyclage. « Fiscalement, la TVA est la même pour l’incinération, le stockage ou le recyclage, alors que le processus de recyclage est plus cher. Il est donc moins coûteux de mettre en décharge ou d’incinérer. Les centres de tri souffrent aussi de l’instabilité de leurs revenus, liés aux cours boursiers des différents matériaux, alors que les revenus de l’incinération, sous forme de vente de chaleur et d’électricité, sont très réguliers », explique Helder de Oliveira.
L’Île-de-France oublie ainsi très largement les alternatives au stockage et à l’incinération dans le traitement de ses déchets, toujours sous l’œil bienveillant de quelques multinationales, spécialisées dans la délégation de service public. Au quasi-monopole de Veolia sur le stockage des déchets non-dangereux, Suez répond par l’exploitation, via sa filiale Novergie, du plus gros incinérateur francilien à Ivry-sur-Seine. (...)
pour mettre en œuvre un véritable changement dans le traitement des déchets, il faut rompre avec la politique du préfet Poubelle et sortir du traitement des déchets massifiés. Quand les déchets sont mélangés à la source, cela coûte extrêmement cher de les séparer. C’est même souvent impossible. Si des restes de peinture ou de la javel sont dans la même poubelle (ou dans le même camion au moment de la collecte) que des épluchures de légume, le plus simple sera toujours de tout mettre à l’incinérateur.
Des composts dans l’une des villes les plus denses du monde ?
La priorité pour les militants des déchets est donc de mettre en place une collecte séparée des biodéchets. (... )