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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Pourquoi les navires de guerre ne peuvent pas résoudre la crise des réfugiés ?
Ruben Andersson, de la London School of Economics, est anthropologue et auteur de l’ouvrage Illegality, Inc.
Article mis en ligne le 22 février 2016
dernière modification le 17 février 2016

Alors que l’OTAN déploie ses navires de guerre dans la mer Égée, l’anthropologue et auteur de l’ouvrage Illegality, Inc. Ruben Andersson, de la London School of Economics, propose d’autres solutions que la politique actuelle de l’Europe, qui renforce en vain le contrôle de ses frontières.

Nouvelle semaine, nouveau projet griffonné sur le dos d’une serviette en papier pour tenter de résoudre la crise des réfugiés. Cette fois-ci, c’est « envoyez les navires de guerre ».

Cette décision angoissée de faire appel à l’OTAN a beau être une première dans la militarisation des frontières de l’Europe, elle correspond à une tendance qui n’est pas nouvelle : celle de considérer les réfugiés et les migrants qui arrivent par bateau comme une urgence à laquelle on ne pourrait répondre qu’en intensifiant le contrôle des frontières.

Depuis l’entrée en application de l’accord de Schengen sur la libre circulation en Europe dans les années 1990, les gouvernements se sont tous mobilisés pour renforcer les frontières extérieures de l’Europe au lieu d’adopter une politique commune à l’échelle de l’Union en matière de migration et d’asile. Le problème, c’est que ça n’a jamais marché. Comme n’ont cessé de le répéter certains chercheurs (dont moi-même), surveiller les frontières et mettre en place des mesures dissuasives pour tenter d’endiguer l’immigration ne résoudra rien tant qu’on n’en traitera pas les causes profondes, à savoir l’inégalité mondiale croissante, la demande de main-d’œuvre dans les pays de destination, les réseaux familiaux transfrontaliers, la violence, la répression, etc. Au contraire, ces décisions ne font qu’empirer la situation en la rendant plus chaotique, plus meurtrière, plus favorable aux prédateurs.

Cette position a entraîné l’Europe dans un cercle vicieux (...)

Il faut cependant reconnaître que cet échec ressemble à un succès pour les nombreux acteurs qui se nourrissent de cette approche répressive de l’immigration : les politiciens européens qui cherchent à donner une image inflexible d’eux-mêmes à leurs électeurs, les agences frontalières, les sociétés de défense et de sécurité et les États voisins de l’Europe, qui se servent des migrants comme une vache à lait, une monnaie d’échange et même une « arme » contre cette Europe apeurée.

Alors que peut-on faire ?

1. Apprendre des échecs d’autres « guerres »

Tout comme la « lutte contre l’immigration » n’a pas réussi à endiguer les déplacements transfrontaliers, la « guerre contre la drogue » est maintenant reconnue comme étant un exercice extrêmement coûteux, destructeur et somme toute futile. (...)

2. Évaluer le véritable coût de la « sécurité des frontières »

Il est actuellement très difficile d’évaluer combien d’argent les contribuables dépensent à la sécurisation des frontières et au contrôle de l’immigration, mais une récente enquête journalistique intereuropéenne a révélé que, depuis le début des années 2000, les expulsions avaient à elles seules coûté quelque 11 milliards de dollars. Et il ne faut pas oublier les coûts indirects (...) La fermeture des voies de migration légales et la politique du chacun pour soi font peser une pression énorme sur les régions frontalières de toute l’Europe. Elles mettent à mal le tourisme, piétinent les cultures et entraînent des troubles sociaux, sans oublier les milliers de vies perdues en mer. Politiquement, la note est aussi de plus en plus salée. (...)

3. Adopter une stratégie globale en matière de mobilité

Il faudrait pour cela traiter la migration non comme une urgence ou une menace, mais comme une caractéristique récurrente de la vie humaine qui, gérée comme il faut, pourrait offrir d’importantes opportunités. Un virage stratégique pourrait être emprunté grâce à quatre mesures intimement liées. (...)

4. Former de vastes coalitions en faveur d’un changement

Il y a peu de chances que les responsables européens se détournent de leur plein gré du seul modèle sur lequel ils ont jusqu’à présent réussi à se mettre d’accord, à savoir le contrôle des frontières. Pour favoriser le changement, nous pouvons tirer des leçons de coalitions créées dans d’autres domaines controversés. (...)

Coalition au sein de laquelle les migrants et les réfugiés eux-mêmes doivent jouer un rôle. Ceux qui ont fui les bombes pour protéger leur famille ou qui se sont cachés des milices libyennes avant de partir pour l’Europe ont énormément de compétences à offrir et débordent d’ambition et de perspicacité.

Aucune de ces propositions n’est une solution miracle et résoudre les principaux facteurs de la crise mondiale des réfugiés, c’est-à-dire les guerres et la répression, ne peut que prendre du temps. Cette absence de panacée devrait être bienvenue dans le débat politique, car l’opposé — la rustine consistant à renforcer le contrôle des frontières — s’est révélé totalement vain. (...)