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Pourquoi se mobilise-t-on inégalement en Europe ?
Benjamin Bürbaumer, Alexis Cukier et Marlène Rosato (dir.), Europe, alternatives démocratiques. Analyses et propositions de gauche, Paris, La Dispute, 2019.
Article mis en ligne le 11 octobre 2019
dernière modification le 9 octobre 2019

Face à une Europe toujours plus austéritaire et antidémocratique, la gauche ne peut compter sur une réforme impossible de ses institutions et doit se préparer à une rupture radicale avec le carcan néolibéral imposé par les traités de l’Union européenne et par l’Union économique et monétaire. C’est la thèse que défend l’ouvrage collectif Europe, alternatives démocratiques, issu des recherches d’un réseau européen universitaire et militant. À partir d’une analyse détaillée des politiques conduites en Europe depuis la crise économique de 2008, ce livre examine les causes et les conséquences de la crise politique des institutions européennes, ainsi que les effets inégalitaires de l’intégration économique et monétaire pour le centre et les périphéries (de l’Est et du Sud) de l’Europe. Il propose des solutions concrètes en ce qui concerne notamment la dette, l’euro et l’emploi, afin d’opposer à la situation actuelle des alternatives réalistes, démocratiques et solidaires.

Une partie de la gauche espère pouvoir transformer fondamentalement l’Union européenne (UE) depuis l’intérieur. Du point de vue de la politique économique, cette approche est liée à l’idée d’un keynésianisme de gauche européisé. Politiquement, cela est associé à la stratégie de « création de l’unité des classes subalternes en Europe à travers des luttes communes » [1]. A mon avis, les représentants d’une telle position surestiment les possibilités d’une mobilisation commune dans la mesure où ils sous-estiment l’ampleur du développement inégal au sein de l’UE. De plus, ils abordent de manière insuffisante la signification centrale du régime monétaire, en particulier de l’union monétaire, pour la cimentation des rapports sociaux et d’un modèle de développement inégal. (...)
Les schémas de développement inégal sont anciens en Europe et le processus d’intégration n’a pas rompu avec ces schémas, il les a accentué (...)
L’adhésion à la zone euro a renforcé ce modèle de développement inégal. (...)
Les divergences structurelles ont été renforcées par la politique allemande de déflation salariale – notamment à travers les contre-réformes de Hartz IV et la promotion d’un secteur à bas salaires mise en œuvre par le gouvernement du SPD et des Verts. En revanche, avec l’euro les pays de l’Europe du sud ont pu accéder à des crédits moins chers. Les taux d’intérêt y ont baissé significativement. Ce fait a stimulé l’accumulation financiarisée, notamment en Espagne et en Grèce. L’Espagne s’est transformée en cas d’école d’un modèle d’accumulation porté par un boom dans la construction et l’immobilier financé par le crédit (...)
Des tendances analogues étaient observables dans les pays baltes et les pays de l’Europe du sud-est : la norme monétaire a cimenté des formes de développement financiarisé dépendant. (...)
Les effets de la crise économique dans l’UE ont été tout aussi inégaux que les modèles de développement. (...)
Dans l’immédiat, l’effondrement économique fut le plus marqué dans les économies en Europe de l’est qui se caractérisent par une financiarisation dépendante. Les afflux de capital ont été interrompus ou se sont retournés face au besoin soudain de liquidités des économies du centre. Ainsi, le fondement du modèle financiarisé a disparu. Des politiques fortement pro-cycliques ont renforcé la récession. (...)
Dans les pays de la zone euro de l’Europe du sud, le modèle financiarisé a également dû faire face à un effondrement, mais c’est seulement au début de 2010 qu’ils ont été pleinement frappés par des problèmes de financement international. (...)
Les dynamiques de crise dans les deux périphéries européennes à l’est et au sud, qui se caractérisent avant tout par la financiarisation, correspondent donc à deux modèles similaires mais temporairement décalés.
Des constats similaires peuvent être formulés au sujet des prétendues « politiques anti-crise ». (...)
La mobilisation sociale inégale
Les schémas du développement inégal et les phases de crise asynchrones se sont également répercutés sur les mobilisations contre les politiques d’austérité. (...)
la Troïka a imposé au gouvernement de Syriza des politiques d’austérité, ce qui démontre les limites de la marge de manœuvre d’un parti de gauche au sein de la zone Euro. En Espagne, un nouveau parti politique, Podemos, issu du mouvement de protestation, a réussi à atteindre des scores électoraux similaires à ceux du PSOE. Toutefois, les limites du projet de plus en plus électoral de Podemos se sont de plus en plus nettement affichées d’une part [54], et l’expérience de Syriza a mis en cause la stratégie de la transformation à l’intérieur de la zone euro d’autre part. Dans un contexte plus favorable que celui de Syriza en Grèce, le gouvernement du Parti socialiste au Portugal, qui est soutenu par le Bloco de Esquerda et le Parti communiste, s’est pour l’instant contenté d’un abandon progressif de l’austérité dans le cadre de la zone Euro. Or, pour une politique alternative de gauche, la zone euro représente une restriction massive.
Elle représente aussi une restriction potentielle pour des politiques économiques étatistes de droite qui voudraient activement façonner le développement et donc au moins partiellement s’écarter des schémas néolibéraux. Suite à la crise la droite nationaliste a pu prospérer. Mais des éléments économiquement nationalistes ou protectionnistes importants ne figurent que dans peu de programmes de ces partis. (...)
pour réaliser des politiques alternatives, elles doivent élargir les marges de manœuvre nationales. Parmi les restrictions les plus fortes auxquelles elles sont confrontées figure l’ordre monétaire et cela vaut d’autant plus pour le corset néolibéral de la zone euro. Face à la « sélectivité stratégique » de l’UE et aux rapports de forces particulièrement défavorables au niveau de l’UE pour les forces progressistes de la classe ouvrière et des couches moyennes, il est douteux qu’une « autre Union européenne » soit vraiment possible.