
Animée d’une froide colère, la documentariste Coralie Miller s’adresse, dans cette tribune pour « l’Obs », à Emmanuel Macron. Elle a voté pour lui aux deux dernières présidentielles, motivée par le besoin de faire barrage à l’extrême droite, mais elle l’accuse aujourd’hui de trahison et de tenter d’expulser la gauche de l’arc républicain.
Monsieur le président,
J’ai voté pour vous. Et toujours malgré moi. Je ne voulais pas de vous comme président, mais j’ai serré les dents. Deux fois. J’ai regardé mes enfants, j’ai regardé mon pays, j’ai regardé notre histoire. Et j’ai fait ce que je considérais être mon devoir.
Depuis mes 18 ans, sur cinq élections présidentielles, j’ai participé à trois barrages. A trois reprises, j’ai dû, comme des millions d’électrices et d’électeurs de gauche, taire mes convictions culturelles, mes inquiétudes économiques, mes colères sociales, parce que seule comptait face à l’urne l’impérieuse nécessité d’empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir. Protéger la République, réaffirmer la démocratie, laisser tomber les clivages et les idéologies pour que jamais le pire n’arrive.
« Plus jamais ça », me disait-on dans mon enfance, alors que l’on me racontait l’histoire de ma famille, juive, déportée, exterminée, parce que l’extrême droite, un jour de 1933, dans un pays voisin (...)
Moi, le front républicain, j’y croyais. Comme des millions d’électrices et d’électeurs de gauche, je suis faite de ce bois que vous ne semblez pas connaître : je me suis effacée pour l’intérêt général. Je me suis effacée parce qu’il était alors entendu qu’entre la droite et l’extrême droite, il valait mieux toujours la droite. Oui, monsieur le président, vous avez beau nous jouer du « en même temps », pour moi comme pour des millions d’électrices et électeurs de gauche, vous êtes de droite. Mais j’ai répondu présente et j’ai voté pour vous. Deux fois. En 2017, j’ai fait barrage. En 2022, j’ai fait barrage.
« Ce vote m’oblige pour les années à venir », avez-vous dit à notre intention, le soir de votre deuxième victoire. L’avez-vous pensé seulement une seconde ? Permettez-moi d’en douter. Car un mois après ce discours, vous commenciez votre travail de sape contre nous. Piétinant une grande partie de vos propres électrices et électeurs, vous aviez choisi votre plan de bataille : renvoyer dos à dos « les extrêmes ». Ainsi, ceux-là mêmes à qui vous promettiez la concorde pour avoir battu l’extrême droite à vos côtés, étaient brutalement mis sur le même pied… que l’extrême droite.
Ce n’était que le début. La gauche est rapidement devenue votre bouc émissaire, votre ennemie publique numéro 1. Jusqu’à ce que soit commis l’irréparable : deux vice-présidents RN élus à 280 voix. C’est-à-dire avec celles de votre majorité. Pourtant, j’avais fait barrage. (...)
Aujourd’hui, vous criminalisez la moindre de nos contestations. Vous nous accusez de menacer les institutions. Aujourd’hui, vous laissez votre ministre de l’Intérieur parler du « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche » pour désigner l’opposition, traiter toute personne issue de la gauche et des écologistes comme un ennemi intérieur potentiel tout en niant la violence d’extrême droite qui sévit dans vos villes et villages, et – ça vient de tomber – menacer le financement de la Ligue des droits de l’Homme parce qu’elle documente l’usage de la force par la police en manifestations. Pourtant j’avais fait barrage.
Votre trahison, je l’ai ressentie dans ma chair le soir du 17 février dernier, quelques minutes après minuit, alors que les débats portant sur la réforme des retraites venaient de s’achever à la faveur de l’article 47.1, sous les huées de la Nupes. Il se trouve, monsieur le président, que je suis documentariste et que ce jour-là, j’étais avec ma caméra à suivre les débats, installée au Guignol – joli nom désignant un des espaces réservés à la presse, qui raconte le spectacle qu’offrent les tribuns du palais Bourbon. Joli nom. Sale moment.
Je ne pensais pas qu’un jour je pleurerais de rage dans l’hémicycle en entendant « la Marseillaise ». (...)
RN et Renaissance, accompagnés de la droite supposée républicaine, main dans la main contre la Nupes, clamant le chant de la République. Puis applaudissant. Comme un seul homme. (...)