
Les partis politiques doivent d’urgence répondre au malaise des classes populaires et moyennes. En agissant sur deux grands leviers : réformer l’école et s’attaquer au poids des hiérarchies dans monde du travail.
Les beaux discours des catégories dirigeantes et culturellement privilégiées ne dupent pas les moins favorisés. Ces derniers demandent des actions concrètes et visibles pour enfin améliorer leur situation à l’école et au travail notamment. Faire en sorte que le décalage entre ces catégories et celles du haut de la hiérarchie ne se creuse pas davantage est une urgence à l’aune d’une campagne électorale qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices en matière de lutte contre ces inégalités. (...)
Alors que l’entrée dans le monde du travail nécessite de plus en plus de faire valoir un diplôme, dès les petites classes, une partie des enfants des catégories populaires décrochent. A la rentrée 2015, un peu plus d’un enfant d’ouvrier sur dix et 9 % d’enfants d’employés accusaient déjà un retard dans leur cursus scolaire à leur entrée en sixième, contre 3 % des enfants de cadres, selon le ministère de l’Education [2]. Au collège, les enfants d’ouvriers et d’employés représentent 58 % des élèves des sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) qui accueillent les élèves présentant des difficultés scolaires « graves et durables ». Les enfants de cadres supérieurs ne sont que 2 % à intégrer ces classes. Les écarts se creusent encore davantage quand on s’élève dans les études. (...)
Plus on dispose d’un diplôme élevé, et tout particulièrement s’il est obtenu dans des filières sélectives, plus l’insertion professionnelle est facilitée et permet d’accéder à des postes à responsabilités et aux salaires élevés. Parmi ceux qui ont la possibilité de suivre des études supérieures, peu sont issus des catégories populaires et moyennes. Ceux-là ont déjà déserté le système scolaire et sont au chômage ou occupent des emplois précaires. (...)
Donner des perspectives d’avenir social
L’ascenseur social n’est pas arrêté, mais il fonctionne aujourd’hui moins bien que pendant les années de fort développement économique des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, trois quarts des enfants des classes populaires restent dans la même position sociale que leurs pères. C’est moins que dans les années 1980 mais, compte tenu de l’élévation du niveau d’éducation de tous les enfants dont ceux d’ouvriers et d’employés, le sentiment que l’ascenseur social est bloqué pour eux n’est pas un vain mot. D’autant qu’à l’autre bout de l’échelle, les enfants de cadres voient, quant à eux, augmenter leur probabilité de devenir cadres, comme leurs pères. (...)
La formation professionnelle tout au long de la vie devrait permettre aussi aux ouvriers, aux employés et aux professions intermédiaires de continuer à se former, d’accéder à des diplômes et à des qualifications supérieurs pour espérer pouvoir évoluer dans le monde du travail et améliorer leur position sociale. Mais là encore, le bât blesse. (...)
Le grand non-dit des conditions de travail
A côté de cette réforme scolaire, le second levier sur lequel devraient agir les pouvoirs publics est la réforme du marché du travail. Non pour le flexibiliser encore plus, comme le veut aujourd’hui la droite comme la gauche « moderne », mais pour réduire les contraintes qui pèsent sur les « masses laborieuses ». Quand elles ont un emploi, les catégories sociales ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Outre les écarts de salaires, les inégalités en matière de conditions de travail sont sources de frustration et d’incompréhension pour les plus mal lotis. La réalité du monde du travail est à des années-lumière du portrait à l’eau de rose qu’on nous en fait le plus souvent.
Plutôt que de vanter les mérites de l’« ubérisation » ou du « tous indépendants », il faudrait réfléchir concrètement à une meilleure organisation du travail et aux réformes possibles. (...)
Dans le contexte actuel de manque d’emplois et/ou de qualifications inadaptées ou absentes, faire tomber les barrières des échelons, des grades, au sein des entreprises privées, comme dans la fonction publique, s’avère être essentiel pour un meilleur partage du travail. On touche là le cœur des inégalités. (...)
De plus, que ce soit en termes d’autonomie, de rythmes, d’environnement de travail, les écarts sont énormes entre les catégories sociales. Comment se sentir bien dans son travail quand on est employé de commerce et que l’on travaille le dimanche (ils sont près de 50 % à être dans ce cas) pendant que 70 % des cadres profitent de cette journée libérée pour être en famille ou vaquer à leurs loisirs ? Comment être serein quand on ne connaît pas ses heures de travail d’un jour à l’autre, quand on cumule des contrats renouvelables d’une semaine à l’autre ? Quelle idée se font du monde du travail les 65 % d’ouvriers non qualifiés qui connaissent des contraintes physiques [6] ? (...)
A l’école comme au travail, les classes populaires et moyennes sont de plus en plus exclues du progrès. Une partie d’entre elles est reléguée dans les quartiers les plus difficiles de l’habitat social ou loin du cœur des villes. Pendant que la fourmi s’use au travail, la cigale, bourgeoise économique et culturelle des centres-villes, à l’abri des effets de la crise économique, vante les bienfaits de l’école d’hier, chante les atouts de la « flexibilité », de la « désynchronisation des temps », de « l’augmentation du temps de travail » ... pour les autres. Le problème, c’est que la fourmi n’en peut plus d’entendre chanter faux et de ne pas être écoutée depuis aussi longtemps et, logiquement, elle s’insurge de plus en plus. Elle pourrait bien avoir envie de renverser la table.