
Les organisateurs de cette primaire veulent rassembler humanistes et écolos pour faire face aux camps identitaires et néolibéraux en 2022. Mais entre l’intérêt limité des chefs de la gauche et la participation en-deça des attentes à ses initiatives, le projet est encore à la recherche de son « élan populaire ».
Entonnée par nombre de sympathisants, la petite musique du rassemblement à gauche a des airs de cacophonie. Aux régionales, les unions entre partis progressistes et écolos ne se sont pas faites sans fausse note. Et l’idée d’un rapprochement en vue de l’élection présidentielle de 2022 rend la plupart des ténors politiques aphones. Au milieu de ces bruits et chuchotements, un collectif voudrait jouer les chefs d’orchestre : réunis au sein de l’association 2022 ou jamais, une dizaine de trentenaires enthousiastes entendent rameuter les troupes et sonner le tocsin de la victoire commune. Leur partition pour l’emporter ? Une « primaire populaire » pour « faire émerger une candidature de rassemblement et gagnante sur la base d’un projet écologique, démocratique et social ».
À l’origine de cette initiative, une bande de jeunes rodés aux arcanes du pouvoir. Aujourd’hui coprésidente et porte-parole de l’association, Mathilde Imer, 30 ans, a été membre du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat. De cette expérience, la militante a tiré deux leçons : d’une part « la difficulté pour les citoyens de se faire entendre du politique », et d’autre part « la nécessité de réinventer la démocratie ».
« Le renouveau vient du terrain, des collectifs, des associations. »
Même son de cloche du côté de Samuel Grzybowski, qui a passé douze ans au sein de Coexister, un mouvement en faveur d’« un meilleur vivre ensemble entre jeunes de toutes les convictions religieuses et spirituelles » : « Le plaidoyer de la société civile est nécessaire mais insuffisant, on n’est pas ou peu entendus par les institutions, constate-t-il. Pourtant, la vitalité des idées n’est pas du côté des partis, le renouveau vient du terrain, des collectifs, des associations. » Pour l’activiste, l’affaire est donc entendue : « Les organisations partisanes ne parviendront pas seules à changer les choses. Et nous, société civile, devons peser sur les échéances électorales. » Partageant ce constat, plusieurs dizaines d’activistes — écolos, féministes, antiracistes — et d’entrepreneurs sociaux se sont rejoints en octobre 2020 lors de la Rencontre des justices. (...)
C’est là que s’est concrétisé l’idée d’unir le « bloc des justices », cette « nécessaire troisième voie entre un “bloc identitaire” (ou nationaliste), et un “bloc néolibéral” (ou productiviste) », peut-on lire sur le site de la Primaire populaire. En clair, l’ensemble des organisations de « l’arc humaniste écologiste et social » allant du Parti socialiste au Nouveau Parti anticapitaliste, en passant par Europe Écologie-Les Verts ou La France insoumise. « Il peut aussi rassembler une partie des abstentionnistes, et des personnes ayant un vote RN purement contestataire, souvent fait de désespoir, et en aucun cas identitaire », précise Mme Imer. Pendant trois jours, les participants ont planché sur une esquisse de projet commun ainsi que sur une « méthode pour gagner en 2022 ». Parmi les scenarii élaborés, celui d’une « primaire ouverte améliorée ». (...)
« L’idée est d’insister sur les éléments qui font consensus, car les partis sont d’accord sur 70 % de leurs programmes, souligne Mathilde Imer. On ne parle pas d’Europe ou de laïcité : les sujets qui fâchent seront traités au moment de la primaire. » Les électeurs choisiront alors la ligne — rouge vif, vert pomme ou rose clair — qu’ils préfèrent. Deuxième phase, qui commence début juillet, celle des parrainages : chacun et chacune pourra « proposer le nom de personnes qu’ils·elles souhaiteraient avoir à notre primaire », explique leur site. (...)
À l’issue de ce processus, les dix personnes — cinq hommes et cinq femmes — ayant recueilli le plus de voix seront départagées par une primaire au « jugement majoritaire ». Dans ce type d’élection, les participants sont appelés à donner une mention à chaque candidat — très hostile / hostile / indifférent / favorable / très favorable. La personnalité la mieux notée remporte l’élection. Chaque votant ne désigne donc pas une seule personne, mais plusieurs avec des appréciations différentes. (...)
En plus de désigner une candidature unique, on peut s’attendre à voir se dessiner des coalitions, en fonction des pourcentages obtenus », qui préfigureront un possible gouvernement ou une majorité parlementaire plurielle. Le tout devrait être bouclé avant la fin de l’année 2021.
Sauf que le chemin vers la victoire n’a rien d’un long fleuve tranquille. Premier obstacle — et de taille — les partis politiques n’ont pas rué de joie à l’idée de participer à ce dispositif. « Jean-Luc Mélenchon a dit non, les Verts poursuivent leur propre calendrier, même si Eric Piolle et Yannick Jadot font montre d’une grande bienveillance à notre égard, Anne Hidalgo ne ferme ni n’ouvre la porte, dit Mathilde Imer. La seule qui a clairement dit oui, c’est Sandrine Rousseau. » Jointe par Reporterre, la candidate à la primaire écolo salue « une initiative très intéressante pour nous en sortir mais surtout pour remettre le politique entre les mains des citoyens », tout en précisant : « Pour que ça fonctionne, il faut que tout le monde joue le jeu, et reconnaisse la légitimité des citoyens à choisir. » (...)
Côté France insoumise, on souligne une « divergence d’analyse politique » : « Les organisateurs de la primaire veulent rassembler tout un arc de partis sur des propositions radicales, y compris le Parti socialiste, dit Sarah Legrain, membre de la coordination du mouvement. Nous pensons que les partis ne souhaitent pas le rassemblement ; en plus, toute une partie du PS, et certains chez les Verts, sont dans une ligne “jamais avec la France insoumise”. » En bref, « on ne croit pas à ce rêve d’une candidature unique, et on n’est même pas sûrs que ce soit souhaitable ». Pour l’insoumise, la primaire est loin d’être la panacée (...)
Côté France insoumise, on souligne une « divergence d’analyse politique » : « Les organisateurs de la primaire veulent rassembler tout un arc de partis sur des propositions radicales, y compris le Parti socialiste, dit Sarah Legrain, membre de la coordination du mouvement. Nous pensons que les partis ne souhaitent pas le rassemblement ; en plus, toute une partie du PS, et certains chez les Verts, sont dans une ligne “jamais avec la France insoumise”. » En bref, « on ne croit pas à ce rêve d’une candidature unique, et on n’est même pas sûrs que ce soit souhaitable ». Pour l’insoumise, la primaire est loin d’être la panacée (...)
L’histoire du XXᵉ siècle nous montre en effet que l’union des gauches est un savant mélange de rapport de force entre partis, de pression populaire et d’imaginaire commun. (...)
aujourd’hui, les organisations syndicales sont bien plus frileuses à s’engager dans l’arène électorale. Par courriel, la CGT nous a ainsi indiqué qu’elle « ne s’exprime pas en tant que syndicat de salariés sur le fonctionnement des partis politiques et leurs intentions même si elle se réjouit de constater que ses revendications peuvent en inspirer d’autres ». Idem du côté de Solidaires : « On ne participe pas à ce genre d’initiative, explique Simon Duteil, porte-parole de l’union syndicale. On intervient sur le terrain politique pour apporter nos idées au débat, mais pas pour construire une écurie électorale. »
« Tout le défi est de créer un élan populaire, reconnaît Mathilde Imer. On veut une pression des citoyens pour pousser les partis à se mettre autour de la table. » Les initiateurs de la primaire espèrent ainsi mobiliser 500 000 personnes durant la phase de parrainage puis réunir deux millions d’électeurs lors du scrutin, à l’automne. Pour réaliser ce tour de force, l’association entend lever quatre millions d’euros [1], a réuni des dizaines de personnalités médiatiques — dont le réalisateur Cyril Dion, l’actrice Juliette Binoche ou la chanteuse Émily Loizeau — et a recruté une dizaine de spécialistes de la mobilisation. (...)
l’équipe de la primaire prépare des campagnes sur les réseaux sociaux et de porte à porte. « On veut aussi mobiliser le mouvement populaire — féministe, antiraciste, social, écolo, et les Gilets jaunes », dit Samuel Grybowski. (...)
Pas facile cependant d’obtenir le soutien d’organisations défiantes vis-à-vis du jeu électoral. Ainsi, Attac « n’a pas l’intention de participer à la Primaire populaire, nous dit sa porte-parole, Aurélie Trouvé. On n’interviendra pas directement dans le processus de recomposition électorale, même si on va les pousser sur le fond, sur le programme. » À Alternatiba, « il n’y a pas de position officielle. La stratégie politique du mouvement pour la présidentielle n’est pas arrêtée, les discussions sont en cours. Mais pour le moment, on ne participe pas. »
Résultat, la primaire populaire peine à décoller. (...)
Pas de quoi inquiéter la fine équipe pour autant : « Le mouvement est assez souterrain au début, dit Mathilde Imer. Ça démarre lentement mais la mobilisation va être exponentielle. » Tous comptent sur la phase de parrainage, qui doit débuter cette semaine, pour enclencher la dynamique.