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Presse : une loi bricolée aux dérives liberticides
Article mis en ligne le 13 mai 2019

Le Sénat examine une loi sur la distribution de la presse qui ubérise le secteur et interdit le droit de grève. De nombreux titres et publications françaises ne bénéficieront plus du droit d’être distribués. Signe des temps, les parlementaires ne semblent pas comprendre la portée du texte. Les syndicats se préparent à un plan social. Etat des lieux et analyse détaillée des articles litigieux.

Pour supprimer l’entreprise Presstalis qui distribue 70 % des titres et magazines en France, en déficit chronique, le gouvernement a déposé un projet de loi qui, par bien des aspects, sera attentatoire aux libertés. Comme il concerne la distribution de la presse papier que les patrons de presse eux-mêmes considèrent comme irrémédiablement condamnée, nul n’y accorde tant d’importance. Les parlementaires ne se mobilisent pas et les syndicats qui avaient pourtant affiché leur détermination ne réagissent pas avec une grande vigueur.

Tout remonte il y a un an, quand le gouvernement a passé avec Presstalis un marché de dupes. D’un côté, il a apporté via le FDES un prêt public de 90 millions d’euros permettant au tribunal de commerce de Paris de valider la poursuite de l’activité de l’entreprise, et de l’autre, il charge Marc Schwartz, le haut fonctionnaire en charge du dossier presse depuis dix ans, de préparer une loi dérégulant totalement le secteur. Son texte propose de supprimer l’obligation instaurée à la Libération de diffuser tous les titres et magazines, et il permet à des sociétés privées, dites agréées, de distribuer la presse en s’affranchissant des coopératives et du principe de solidarité.

Pour que l’entreprise Presstalis échappe à ce piège, il aurait fallu qu’en moins d’un an, son chiffre d’affaires augmente et que son réseau de ventes se développe. Mission impossible. (...)

Le gouvernement n’a pas voulu que le tribunal de commerce de Paris place l’entreprise en dépôt de bilan et ouvre un redressement judiciaire salutaire car il lui aurait fallu accorder un prêt exceptionnel pour assurer aux éditeurs que l’argent qui leur revient dans le circuit de vente (le ducroire) n’allait pas être saisi avant la relance de l’entreprise. Cette solution aurait eu le mérite de permettre à l’entreprise de renégocier à la baisse son endettement et de contraindre les éditeurs qui ne payent pas leurs coûts de distribution au juste prix de le faire. Le gouvernement n’a pas voulu laisser le marché aux MLP (Messageries Lyonnaises de Presse), les seules concurrentes de Presstalis, et il préfère voir émerger un monde où les gros éditeurs négocieront en force avec un nouvel entrant affranchi de toutes les conventions collectives et de toutes les obligations imposées.

Peu importe si des centaines d’éditeurs et des milliers de salariés – le secteur compte 24 000 emplois directs et indirects – se retrouvent évincés du marché. (...)

Avec cette loi, hormis les titres dits IPG (information presse et générale), ceux qui couvrent l’actualité chaude et immédiate, les autres publications – qu’il s’agisse de revues philosophiques ou d’études sur l’architecture, la psychologie, l’art précolombien – n’ont plus aucune certitude d’être distribuées. (...)

Un diffuseur de presse, un kiosquier, pourra même refuser de vendre tous les titres.

On peut raisonnablement se demander où tout cela conduira quand aujourd’hui, avant même que la loi n’ait été modifiée, un kiosquier homophobe a refusé de vendre l’Équipe car sa une était « gay friendly ».

Qu’adviendra-t-il demain si le magazine Elle, qui n’a pas été labellisé IPG par la profession, défend l’avortement en couverture ? Ou si une publication traitant de l’écologie ou de la recherche médicale reçoit le même traitement parce qu’un vendeur anti-écologie ou anti-vaccins s’y oppose ?

Pour le gouvernement, de telles objections n’ont pas lieu d’être car l’Arcep, l’organe de régulation des télécoms, sera le nouveau garant des libertés. C’est lui qui rédigera un nouveau cahier des charges de la distribution et accordera son agrément aux nouveaux entrants. Selon quels critères ? Aucun connu à ce jour, puisque c’est lui qui les édictera. Le contrat d’agrément sera-t-il porté à la connaissance du public ? Non, car cela fragiliserait la société qui en bénéficie.

L’INDIFFERENCE ASSUMEE DE L’ARCEP

Cette autorité obéit à une seule logique : permettre l’émergence de puissants acteurs hexagonaux. Sa réussite serait totale si elle donnait naissance à un Uber français. (...)

L’Arcep a ainsi maintenu une licence postale à Adrexo alors que la chambre sociale de la Cour de cassation avait condamné cette entreprise à plusieurs reprises (25 juin 2014, 15 juin 2016, 12 septembre 2018).

Inquiets du rôle de l’Arcep, les organisations professionnelles du cinéma et de l’audiovisuel unanimes, ARP, UPF, SPI, SACD… rejettent le projet gouvernemental soutenu par Franck Riester, ministre de la Culture, de fusionner l’Arcep et le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Toutes considèrent que cet organe n’est pas le mieux à même de défendre l’industrie audiovisuelle et culturelle. (...)

Xavier Niel, propriétaire d’Iliad Free, du groupe Le Monde (35 786 exemplaires papier vendus , M, 39663 ex., L’Obs, 21 123 ex. mars 2019 source ACPM, ces chiffres n’intègrent ni les abonnements, ni les ventes internet, ni les journaux distribués gratuitement dans les aéroports, les hôtels, ), ne voit, en revanche que des avantages à donner à l’Arcep la gestion de la distribution de la presse.

Le groupe Altice-SFR de Patrick Drahi, affiche, lui aussi, sa satisfaction de voir le CSA se dissoudre dans l’Arcep (...)

L’EGOÏSME DES GRANDS EDITEURS

La presse ne se mobilise donc pas contre la loi. Le groupe du Figaro (39 283 vendus en mars) ne cesse de répéter que la baisse des ventes et la faillite économique du système découle de la profusion des publications mises en vente. Si tel était le cas, le cinéma français aurait dû disparaître, en raison du très grand nombre de films qu’il produit chaque année. (...)

L’Alliance, le groupement qui rassemble les 350 éditeurs de la presse d’information générale a remis en avril un rapport au gouvernement et ne dit pas un mot de la crise sur la distribution. Elle n’établit, comme d’habitude, aucune corrélation entre l’effondrement des ventes papier et la qualité de leurs contenus. (...)

José Ferreira, président des MLP – qui regroupe les petits et moyens éditeurs mais aussi Le Point (39 871 exemplaires en mars) et Marianne –, a fait parvenir un certain nombre d’amendements à la commission sénatoriale. La SAEP, regroupement de petits éditeurs indépendants, a fait de même, sans que l’on ait l’impression qu’ils ont été lus.(...)