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Libération
Procès Nadia Daam : la « revanche de la réalité »
Article mis en ligne le 13 février 2019

La condamnation de deux internautes pour harcèlement à l’encontre de la journaliste prouve que la justice n’est pas impuissante sur internet. Elle rappelle à ceux qui se croient tout permis sur la toile que « Troll, ça n’existe pas dans le code pénal. »

Avant, on pouvait dire qu’on ne savait pas. Qu’on n’imaginait pas qu’un simple commentaire sur un forum puisse mener au tribunal. Qu’on ne soupçonnait pas qu’un jour, un juge nous demande d’expliquer mot par mot pourquoi on a écrit « la milf brunette, je lui remplis sa bouche de mon foutre ». Qu’on ne se figurait pas qu’une menace de mort ou de viol proférée sur Internet « pour faire le malin » pouvait avoir des conséquences concrètes sur la vie de la personne visée. « TintinDealer » et « QuatreCentTrois », condamnés mardi à six mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts par le tribunal de grande instance de Paris pour le harcèlement de la journaliste Nadia Daam, ont peut-être payé pour les autres, mais maintenant on sait.

Ce verdict très symbolique est « une sacrée revanche de la réalité », selon les mots de l’avocat de la partie civile, Me Eric Morain. La réalité, c’est cette justice qu’on perçoit à tort comme complètement impuissante sur Internet. Il n’y a pas de radar automatique de la haine sur Internet, mais ce procès est la preuve qu’on peut retrouver les auteurs si la justice y met un peu du sien. Confrontée à un harcèlement dépassant largement les frontières du virtuel (menaces de mort, menaces sur son enfant, tentative d’intrusion à son domicile), Nadia Daam avait fait de ce procès une question de principes, un exemple pour tout l’Internet français. « Personne n’imaginait qu’on pouvait comparaître pour ça. Cela arrivait peu », déclarait-elle en juin.

Du « trolling » au harcèlement
Comme toujours avec Internet, le problème, ce ne sont pas les lois. Elles existent : les deux internautes ont été condamnés pour des délits de la vraie vie, « menace de mort » et « menace de commettre un crime ». Le problème est plutôt l’application de ces lois sur le web. Et surtout la connaissance par le public que ces lois issues de l’ancien monde s’appliquent avec la même sévérité dans les espaces virtuels. (...)

Avec l’affaire Nadia Daam, la justice s’attaque cette fois au cyber-harcèlement de groupe, à ces « raids » menés sur des forums ou sur Twitter. On ne parle ainsi plus de « trolling », cet euphémisme propre à la culture Internet, mais bien de harcèlement. Ce procès est la preuve qu’on peut se retrouver à devoir affronter au tribunal le regard de la personne qu’on a menacée de mort ou de viol. Sur Internet, à la fin, tout ne se règle pas en raids sur Twitter – ou en combat de MMA, comme chez Alain Soral. Il existe une justice, qui n’a pas grand-chose à faire du folklore d’Internet, de ses clashs, de ses trolls et de ses blagues scabreuses.

Entre-soi masculin
A la barre du tribunal, le dénommé « QuatreCentTrois » a tenté de justifier sa menace de viol par une excuse tout droit sortie du grand grimoire de l’Internet : « J’avais juste envie de troller. » L’avocat de la partie civile lui a rappelé les réalités de ce monde : « Troll, ça n’existe pas dans le code pénal. » (...)

Le procès Nadia Daam, c’est aussi le procès d’un web encore trop largement masculin.

« Le cyber-harcèlement ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. Mais ce que ce procès dit, c’est qu’on a les moyens de retrouver les auteurs », a déclaré, lucide, la journaliste d’Europe 1 à la sortie du tribunal. A voir les réactions de certains membres de jeuxvideo.com à l’issue du procès, on est effectivement en droit de douter que la leçon ait été bien apprise. « Go raid cette conne, elle a pas encore compris qui était le patron », écrit par exemple un internaute sur un groupe Facebook privé. Sachant que la justice peut les retrouver, les harceleurs peuvent toujours se cacher sur des groupes privés ou derrière un VPN pour continuer leurs horreurs. Mais au moins savent-ils maintenant qu’ils sont dans la plus parfaite illégalité. Dans la délinquance Internet.