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Mediapart
Profs, élus, ils bricolent pour faire tenir l’école en temps de pandémie
Article mis en ligne le 13 janvier 2022

Parmi les ressorts de la colère contre le ministre de l’éducation nationale, l’impression de devoir composer depuis des mois avec des bouts de ficelle arrive en bonne place. Pour pallier les manques et retards de l’État, enseignants et élus locaux se mobilisent comme ils peuvent.

Dans le collège Aliénor-d’Aquitaine de Bordeaux, la pratique est ancienne. Lassés de ne pouvoir ouvrir les fenêtres d’un bâtiment conçu pour « s’autoventiler », enseignantes et enseignants puisent depuis un certain temps dans leur propre boîte à outils pour poser ici ou là des poignées aux fenêtres, poignées achetées sur leurs deniers.

Le besoin d’aération, essentiel à la lutte contre le Covid-19, a remis le problème en lumière il y a deux ans, explique une professeure de l’établissement. « Certains collègues ont peur de l’infection et réclament de pouvoir ouvrir largement. Mais les fenêtres ne sont pas faites pour ça, elles sont immenses et donc il fait très froid. Moi, faire cours en manteau, honnêtement, c’est ma limite. » Des capteurs de CO2 ont également été promis, nous apprend cette même enseignante, mais ils ne sont pas encore arrivés. Et de temps en temps, la direction fournit deux ou trois poignées en attendant une solution pérenne. (...)

« Au niveau de l’aération, on a la chance d’être dans un collège ancien, bourré d’amiante mais dont des fenêtres s’ouvrent, ironise Romain, professeur d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, syndiqué à Sud-éducation. Mais pour les masques, on se paye des chirurgicaux, et depuis un certain temps, nous sommes nombreux à être passés au FFP2, à nos frais bien sûr. » Jean-Michel Blanquer a promis une fournée de masques chirurgicaux à ses troupes fin janvier, vraisemblablement après le pic de la vague Omicron, s’inquiètent les syndicats. (...)

Depuis dix jours, raconte la professeure de sciences économiques et sociales dans l’Essonne, les conditions d’exercice sont ubuesques : « Nous jonglons avec des morceaux de classe. On commence l’heure, 3 ou 4 élèves sont absents pour cause de Covid, puis le surveillant arrive et vient en chercher encore deux ou trois autres pour les faire tester ou les isoler à l’infirmerie. On multiplie les devoirs, un pour les présents, un autre pour ceux qui reviennent d’isolement et qui ont travaillé comme ils ont pu à distance. C’est infernal. »

Le personnel soignant dans les établissements n’est guère mieux loti. « Au début de l’épidémie, nous avons été les seules professionnelles de santé à faire des examens cliniques avec des masques grand public, s’insurge Saphia Guereschi, infirmière scolaire et responsable du SNICS-FSU (syndicat national des infirmier·es conseiller·es de santé). Certaines en ont récupéré en pharmacie, dans des zones qui n’étaient pas en tension, mais c’était au bon vouloir de l’officine. » Depuis, il y a eu quelques dotations d’urgence, « 5 ou 6 masques par infirmière, pas de quoi tenir la semaine », poursuit Saphia Guereschi, qui travaille en Bourgogne, partageant ses 44 heures par semaine entre trois collèges et trente-trois écoles rurales. (...)

2 000 infirmières scolaires (sur les 7 700 que compte le pays) ont été réquisitionnées pour mener des campagnes de tests ou de vaccination, afin de venir en aide aux agences régionales de santé. Pendant ce temps, une bonne part des consultations et de la prévention sont passées à la trappe, notamment, dans les collèges, la visite obligatoire pour les enfants de 12 ans. À Grenoble, selon des informations obtenues par Mediapart, depuis début janvier, c’est désormais aux directeurs et directrices non seulement de récupérer les résultats des tests mais également de réaliser le « tracing » des élèves et de le mettre en tableau (date de début des symptômes, date et résultat du test, durée de l’isolement, etc.) afin de venir au secours des services de santé municipaux et étatiques débordés par l’ampleur des contaminations chez les enfants.

Les parents d’élèves, de leur côté, multiplient les interpellations pour survivre à la doxa de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale : garder les écoles ouvertes coûte que coûte. Depuis décembre, les classes ferment, et les enfants sont renvoyés chez eux, faute de pouvoir répartir les élèves, le brassage étant interdit dans le protocole. (...)

Le lien entre parents est également plus dur à créer avec tous ces protocoles et le port du masque, qui ne favorise pas les rencontres. » Comme dans de nombreuses communes, les parents d’élèves ont en désespoir de cause sollicité la mairie et demandé que le personnel municipal soit réaffecté pour garder les élèves, afin de « répondre à une situation d’urgence vis-à-vis des familles ». Sans succès.

On creuse le fossé entre les territoires, c’est insupportable. (...)

La ville de Romainville, dans la banlieue nord-est de Paris, a en 2021 déployé son équipe d’animation pour garder les enfants privés d’enseignants. (...)

Impossible de réitérer l’opération à l’occasion de cette 6e vague, explique la mairie, « ce serait ingérable ». La Ville peine déjà à assurer le remplacement de ses propres animateurs et animatrices pour faire tourner normalement les centres de loisirs et le périscolaire. Mais la collectivité a néanmoins à plusieurs reprises donné de sérieux coups de main pour faire appliquer le protocole, distribuant des masques aux scolaires et installant des capteurs de CO2 dans les lieux de restauration. La municipalité réfléchit à étendre le dispositif dans les salles de classe. Pour chaque capteur, elle reçoit 50 euros de l’État en subvention. Les capteurs, en réalité, coûtent quatre fois plus cher.

En soutien à la mobilisation des enseignants jeudi, la Ville de Romainville a signé un communiqué sévère avec plusieurs communes proches de Seine-Saint-Denis, regrettant que les personnels municipaux naviguent « à vue de protocoles en protocoles » édictés à la va-vite par le gouvernement (...)

Toutes les municipalités n’ont pas cette volonté, ni parfois les moyens d’y parvenir. (...)

La mairie de Paris distribue sur ses fonds propres des masques FFP2 au personnel des crèches parisiennes et au personnel municipal des écoles maternelle (atsem, employées dans les cantines ou au nettoyage), « là où les enfants ne mettent pas de masques ». Les enseignants piochent dans le stock, faute d’en trouver auprès de leur employeur, l’Éducation nationale. « Cela ne nous pose pas de problème, il faut les protéger mais nous voudrions que l’État prenne ses responsabilités et distribue gratuitement des masques FFP2 au moins à ceux et celles qui en font la demande dans les écoles », estime Anne Souyris.

Comme tout le monde, je suis informé quand le ministre parle, et pas avant. Les tests à J+2, J+4, au départ, je n’ai rien compris.

Un membre de l’ARF (...)

Certaines régions, comme l’Occitanie, ont décidé elles aussi de distribuer des masques FFP2 pour les agents techniques dans les lycées dont elles ont la charge. En Corse, la collectivité les propose également aux enseignants. Enfin, plus de 53 % des lycées sont équipés d’au moins un capteur de CO2, un score nettement plus élevé qu’ailleurs dans le monde scolaire.

« Sur l’équipement, le personnel, on travaille plutôt bien avec le ministère de l’éducation nationale, confie un membre de l’association des Régions de France. La décentralisation des lycées ne date pas d’hier, des habitudes de travail sont prises. » Le plus faible nombre d’établissements (3 750 lycées, un chiffre à comparer avec les 7 000 collèges et 48 950 écoles) aide à unifier les politiques. (...)

Anne Souyris dénonce depuis Paris une forme de panique et une absence d’anticipation. « Sur les remplacements, cela fait un an et demi qu’on dit qu’il aurait fallu embaucher. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Paris regorge d’intellos précaires. Pourquoi on ne trouve personne aujourd’hui pour pallier les absences ? La Ville peut faire bien des choses, mais elle ne peut pas embaucher un prof… » Sans compter que le phénomène ne date pas d’hier, surtout dans certains territoires : « En Seine-Saint-Denis, on écrit toutes les deux semaines au rectorat pour avoir des remplacements, rappelle Romain. Résultat et pour exemple, nous avons des collègues professeurs qui remplissent des dossiers de bourse pour les élèves, faute d’intendant dans l’établissement ». Jeudi 13 janvier, il sera en grève.