
Mediapart annoncera sur son site lundi 19 juillet les suites judiciaires qu’il donnera à cette affaire.
"Les autorités de notre pays ne peuvent pas rester indifférentes", a affirmé dimanche 18 juillet sur franceinfo Edwy Plenel, journaliste, président et cofondateur de Mediapart, alors que de nombreux Etats utilisent un logiciel espion pour cibler des militants, avocats, journalistes et y compris des hommes politiques, selon une investigation planétaire menée par un Consortium international de journalistes crée par Forbidden Stories, auquel participe la cellule investigation de Radio France, mais aussi le Washington Post, le Guardian ou encore le journal Le Monde.
Edwy Plenel fait partie des personnes sélectionnées comme cible par le logiciel espion Pegasus, avec une autre journaliste de Mediapart, Lenaïg Bredoux. Selon lui, la surveillance dont il a fait l’objet correspond au travail fait par Mediapart sur le Maroc. Ce pays "utilise notre travail sur les violences sexistes et sexuelles comme une sorte de cheval de Troie". Il dénonce l’utilisation du logiciel par "des Etats voyous" qui s’en servent "de manière très vaste contre la presse indépendante".
franceinfo : Comment avez-vous appris que votre téléphone a été ciblé par le logiciel espion Pegasus ?
Edwy Plenel : Je l’ai appris par l’enquête du Consortium Forbidden Stories et tous les médias concernés, dont le vôtre. Nous avons accepté, avec Lenaïg Bredoux, qui est une journaliste de Mediapart elle aussi infectée, que nos téléphones soient expertisés. Le résultat, c’est que la technique du laboratoire d’Amnesty International a permis d’établir les dates précises de cet espionnage qui a duré plusieurs mois, en 2019-2020.
Comment expliquez-vous avoir été la cible d’un logiciel espion ?
On peut se dire que nous sommes un journal indépendant et que cela intéresse beaucoup de monde. Mais en l’occurrence, nous avons pu faire des recoupements avec les dates et avec les personnes concernées. L’espionnage de mon téléphone a suivi le retour d’un bref séjour au Maroc où j’avais pris la défense des militants du Hirak, du Mouvement populaire du Rif, qui avaient subi des peines de prison tout à fait injustes. (...)
Lenaïg Bredoux, qui a enquêté sur le chef des services de renseignement marocain - donc elle était déjà repérée par cet État autoritaire - est spécialiste des violences sexistes et sexuelles. Donc, notre hypothèse, mais qui appelle évidemment des investigations complémentaires, c’est que cet espionnage avait pour but de voir comment nous travaillions sur ces questions. Et pour utiliser notre travail sur les violences sexistes et sexuelles comme une sorte de cheval de Troie pour monter -ce qui est fait actuellement au Maroc- contre des opposants, contre des journalistes, contre des défenseurs des droits humains, de fausses histoires, qu’on instrumentalise pour mettre en prison des gens, pour porter atteinte à des droits fondamentaux. Donc, c’est très grave. Israël est un Etat militaire, c’est un Etat en guerre. Et en fait, ce logiciel unique qui permet vraiment de posséder votre téléphone, au lieu de l’utiliser contre des terroristes, contre des criminels, est vendu contre espèces sonnantes et trébuchantes à des États voyous qui l’utilisent de manière très vaste contre la presse indépendante, contre les activistes, pour faire du renseignement tous azimut. Sur les 50 000 numéros obtenus par Forbidden Stories, 10 000 ont été exploités par le Maroc. Et aujourd’hui, la situation des droits humains est évidemment problématique. (...)
cela ne doit laisser personne indifférent. Nous avons demandé à nos avocats d’étudier les suites judiciaires à donner (...)
Sur les relations avec le Maroc, j’estime que la puissance publique française doit faire les remontrances qui s’imposent et en tirer des conclusions, de la même manière qu’ils doivent dire des choses à l’Etat d’Israël. L’enquête de Forbidden Stories révèle que dans le cas de l’Arabie saoudite, où les proches de notre confrère Khashoggi qui a été assassiné sur ordre du prince héritier, ont été espionnés.
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C’est sans doute l’affaire de cyberespionnage la plus importante depuis l’affaire Snowden. En 2013, on découvrait, sidéré, dans le contexte de l’après 11-Septembre, que la NSA américaine avait mis en place un système mondialisé de surveillance de données. Mais les révélations que Forbidden Stories et ses partenaires, avec le concours technique du Security Lab d’Amnesty International, sont en mesure de faire aujourd’hui, semblent encore plus graves. Car elles montrent que cette surveillance n’est pas l’apanage d’un pays aux pratiques déviantes, aussi grand soit-il, mais qu’elle est généralisée, et concerne tous types de nations. (...)
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– En mai 2017, dix jours après l’assassinat du journaliste mexicain Javier Valdez, qui enquêtait sur les cartels de la drogue, sa femme a été ciblée par un logiciel espion de NSO, une société israélienne qui vend ses spywares… au gouvernement mexicain.