
Dans deux jours, l’Assemblée nationale va, dans un vote solennel, c’est à dire où chacun peut être tenu comptable de son vote, adopter ou rejeter le projet de loi sur le renseignement. Je voudrais, dans ce billet, clarifier ce qu’il en est des responsabilités de chacun des députés.
Si je sens le besoin de le faire, c’est que j’entends, à l’Assemblée et ailleurs, des justifications ou des excuses anticipées qui me paraissent illustrer la profondeur de la crise démocratique que nous traversons. Ces symptômes sont les suivants : même les députés de la Commission numérique1 qui ont adopté à l’unanimité un avis déclarant contraire aux droits fondamentaux ses dispositions les plus importantes2 ne s’engagent pas à voter contre le texte. En parallèle, ils excusent par avance leurs collègues qui l’adopteraient au nom de l’ignorance ou d’un effet de sidération sécuritaire qui aurait interrompu pour une période indéterminée (mais apparemment longue) le fonctionnement de leurs neurones. Par ailleurs, la plupart des députés qui se seraient engagés à signer une saisine du Conseil Constitutionnel sur le projet de loi ne se sont pas plus engagés à voter contre. Au contraire, il semble bien que la perspective de cette saisine permettrait à certains d’entre eux de voter le texte en se défaussant sur le Conseil Constitutionnel de l’examen de sa conformité aux droits fondamentaux. Or, le Conseil constitutionnel n’est pas le seul gardien des droits fondamentaux : chaque parlementaire a non seulement le droit mais le devoir de rejeter tout texte qui leur porte atteinte de façon inacceptable ou disproportionnée.
Je voudrais donc rappeler que chacun est devant ses responsabilités. (...)
Il ne s’agit pas d’un petit choix de politique publique qui pourrait être demain corrigé par un autre vote. Il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Celle où chaque activité numérique peut être surveillée par des algorithmes secrets aux fins de détecter des profils suspects, sans que nul ne puisse jamais savoir s’il a été surveillé ou non. Ou celle dans laquelle l’intimité condition de la liberté de pensée et d’expression est préservée, celle où comme l’affirme encore le deuxième alinéa de l’article 10 de la loi Informatique et libertés :
Aucune autre décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l’intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité.
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Alors oui, nous vous compterons un par un. Nous garderons la mémoire de ceux qui sont auront su s’opposer à ce texte par leur vote et pas seulement par leurs mots. Quant aux autres, le triste devenir de la société de surveillance et de suspicion sera leur fait, à chacun d’entre eux. Ils ne pourront pas dire : « nous ne savions pas ».