
L’association Stop-DSM a tenu un colloque visant à mettre fin à "l’hégémonie du DSM", cette "bible" de la psychiatrie.
(...) Ses détracteurs disent de ce guide qu’il a conduit à l’ère du psychotrope pour tous et de la souffrance réduite à un dérèglement cérébral rectifiable par une médication. Adieu névroses, conflits psychiques, angoisses, maniacodépressions : tout n’est que "troubles" désormais (1) ou "spectre de trouble". Il en faut peu, ont expliqué en substance les participants (2), pour se voir au XXIème siècle coiffé très rapidement d’un petit bonnet psychiatrique (...)
c’est Pat Bracken lui-même, fondateur de la Psychiatrie critique anglaise, venu de Cork (Irlande) pour retracer l’histoire de la pensée critique depuis Socrate, qui dira combien il regrette que la médecine de l’âme soit désormais fondée sur "un paradigme technologique" et son enseignement "un bourrage de crâne".
J’appelle de mes voeux l’époque où toute personne qui dans sa profession a le pouvoir et la responsabilité de nommer les choses devra passer par une période de formation critique", conclura-t-il avant d’être très applaudi.
Un autre conférencier, Patrice Charbit, président du Syndicat national français des psychiatres privés décrira "la tentative d’OPA sur le diagnostic par le DSM qui sature les propositions pour rendre inutile et vaine tout démarche singulière et toute pensée autonome". Il avancera aussi que "la soumission demandée aux docteurs et aux patients assure la fiabilité du marché et la sérénité des actionnaires". (...)
Allen Frances cite Huxley en préambule de son exposé. "La médecine fait des progrès tellement formidables que bientôt plus personne n’ira bien". Chose rare chez les médecins, lui fait son mea culpa. "Ce qu’on a fait en 1994 est idiot. En l’absence de découvertes scientifiques on aurait dû s’en tenir au DSM-3".
Il rappelle qu’en trente ans de recherche sur le cerveau et des milliards ainsi engloutis, on n’a rien trouvé d’ébouriffant. Toutes ces recherches pour zéro profit thérapeutique ? Absolument, dit-il. (...)
Allen Frances rappelle tout psychiatre à son devoir d’humilité car si les médicaments de l’esprit marchent souvent, on ne comprend pas bien pourquoi ca marche.
Dans ce marché du trouble en tout genre où l’on attrape dans les filets diagnostiques des gens confrontés à des problèmes existentiels, il se pourrait même que l’effet placebo des médicaments joue un rôle majeur, encore plus grand qu’on ne le pense.
Pour Allen Frances, le DSM, dont une version "enrichie" - le DSM-5- sera traduite en français début 2015, est un concentré de "constructions sociales" érigées en maladies et rendues populaires depuis cette Amérique où un puissant prescripteur nommé télévision diffuse les spots anxiogènes de l’industrie pharmaceutique aux heures de grande écoute (...)
L’extension du domaine de la psychiatre est d’autant plus cynique, conclue-t-il, qu’aux Etats-Unis bien des gens qui auraient besoin d’être soignés ne le sont pas, comme ces malades mentaux abandonnés dans des prisons qui rappellent "la Salpêtrière d’avant Pinel". Très applaudi lui aussi.