
Il y a des mots lancés dans l’espace public depuis quelques années pour nous faire taire et nous condamner au silence : communautarisme, complotisme, antisémitisme, république, laïcité et…le plus paradoxal liberté d’expression.
Lancés tantôt comme des accusations, des injonctions, des carcans à destination spécifique, ils me font raser les murs et taire ma détresse devant tant d’assignations mensongères. Parfois. Mais là c’est fini de raser les murs et de se retrouver englué dans des fariboles qui seraient censées raconter qui je suis et comment je devrais penser ou me taire.
Où est cette communauté dont ils parlent et qui se liguerait pour me faire obtenir des avantages, des communautés d’intérêt protecteur, ce communautarisme là je le vois à l’oeuvre mais pas chez les classes populaires issues de l’immigration. Je n’ai rien vu de tel, par contre j’ai compris qu’on m’a détourné d’une possibilité de créer cette communauté là pour comme dans toute société fonder un contre pouvoir sain, vital et protecteur contre les attaques dont les gens comme moi font l’objet. On pourrait accuser les syndicalistes, les féministes, les clubs de folklore local d’être communautaristes mais ils ont bien une raison d’être, ces espaces là.
Parce que depuis dix ans, on s’acharne dans l’espace public à faire du musulman une tache, un élément qui ne devrait pas rentrer dans le décor, on a commencé par exclure sans vergogne des jeunes filles voilées de l’école. 2005, tout bascule dans ma vie, je regarde ces profs que j’avais tant admirés se déchaîner sur des jeunes filles. Et je sens bien qu’ils aimeraient bien à tout prix prouver que ces filles et leurs frères sont des dangers publics. En allemand il y a un mot que je ne sais pas traduire schadenfroh, un schadenfroh c’est quelqu’un qui nourrit son contentement et son bien être du désastre et de la catastrophe, il les souhaite pour s’en frotter les mains et se repaît du malheur, il le surplombe et en appelle à la dévastation pour afficher un sourire de satisfaction, il est content du malheur des autres, et parfois même sa nature l’incite à provoquer des naufrages pour mieux observer en s’en frottant les mains depuis sa rive tranquille et cynique les noyades et bris de bateau qui déchirent les flots.
Quand j’ai vu mes collègues s’acharner sur leurs élèves voilées, puis sur moi quand j’ai osé dire que je ne cautionnais pas ça au nom d’une laïcité revisitée à la sauce répressive. J’ai fait l’objet d’une expertise psychiatrique, d’une convocation brutale au rectorat, d’une convocation violente dans le bureau de la proviseur alsacienne, et j’ai été l’objet de délations et de fantasmes.
Depuis les frères Kouachi, il faudrait se taire et regarder les Schadenfroh exulter de leur : « Ah vous voyez on vous l’avait bien dit, ça devait arriver. On a tout laissé passer, tout laissé faire. »
A ceci près que ce n’est ni vrai ni juste. On n’a rien passé, rien laissé faire. On a matraqué et traqué sournoisement et méthodiquement une catégorie de la population en se drapant dans des grands principes hypocrites. Depuis dix ans tout ce qui est décrété, vécu ou pressenti comme proche de la culture musulmane se voit taxé de suspicions qui vont très loin : ostracisme, racisme, sanctions professionnelles, exclusions, mises au ban quand ce ne sont pas agressions physiques et verbales. Il est devenu de bon ton et de bon teint depuis plus de dix ans dans ce pays de casser du identifié musulman et de lui gueuler on est en République parce qu’on ne peut pas toujours quand on s’avoue de gauche gueuler on est en France ici à quelqu’un dont on sait bien qu’il est français et puis ça ferait trop front national et on n’est pas racistes à gauche, on aime juste une idée de son pays qui n’existe que dans leur tête. Faire accoucher au forceps une identité fantasmée coûte que coûte, la France ce serait ça et pas autre chose.
Pour les gens comme moi, née en Bourgogne de parents algériens nés en 24 et 32, c’est épuisant. C’est aussi un rouleau compresseur permanent sur ma capacité à sublimer le réel et à faire de ma vie et de cette société quelque chose de beau et de large. De fédérateur. (...)