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OrientXXI
Qatar. Des ambitions agricoles au détriment de l’environnement
Article mis en ligne le 23 octobre 2019

Ébranlé par la violente crise diplomatique qui divise les pays du Golfe depuis 2017, le Qatar érige sa volonté d’autosuffisance alimentaire en réponse politique, au risque d’affecter durablement la précieuse ressource hydrique qui gît dans ses sous-sols.

Pourtant, derrière des slogans politiques volontaristes et l’ambition affichée d’une autosuffisance alimentaire prochaine qui apaise la population locale sur le court terme, se cache une réalité environnementale d’une tout autre nature. D’ordinaire peu enclins à s’exprimer publiquement sur ce type de sujets, les officiels qataris admettent du bout des lèvres leur sincère préoccupation face à l’épuisement des nappes phréatiques. Un rapport gouvernemental confirme que la réserve naturelle d’eau souterraine, estimée à 2,5 milliards de mètres cubes, se vide chaque année de 100 millions de mètres cubes sous la pression de milliers de puits qui nourrissent l’appétit grandissant d’un secteur agricole dont l’eau est le principal carburant. « Il n’est peut-être pas nécessaire de mentionner ces chiffres dans le reportage », suggère un fermier qatari, avec un sourire gêné.

Face à cette situation, l’ONU fait état d’un risque « d’épuisement total » de la couche géologique où l’émirat prélève 70 % des eaux souterraines qu’il consomme. Un tel scénario placerait Doha dans une situation précaire alors que le pays, qui ne dispose d’aucun cours d’eau permanent pour cause de faibles précipitations, est classé au premier rang mondial des états les plus exposés au stress hydrique. (...)

Depuis deux ans, les produits estampillés « Made in Qatar » envahissent les rayons des supermarchés de la capitale qatarie, la production agricole locale a quadruplé et la filière agroalimentaire connaît un développement sans précédent. Dans les années à venir, le Qatar ambitionne de produire localement 40 à 50 % des produits frais consommés par sa population. (...)

Une situation qui contraste avec les années pré-blocus durant lesquelles le Qatar importait jusqu’à 80 % de ses denrées alimentaires et acheminait ses produits laitiers par camion depuis l’Arabie saoudite voisine. Pour contourner le blocus et compléter ses productions locales, le Qatar s’est doté de nouvelles routes d’importation.

Mais en dépit des progrès rapides accomplis par les fermes qataries et des subventions accordées à la filière, le prix d’un kilogramme de tomates a connu une inflation de 60 % entre 2016 et 2017. Un chiffre qui pourrait être beaucoup plus élevé si le secteur ne vivait pas sous les perfusions bienveillantes du gouvernement. (...)

Conscient de l’aberration que représente la production de fourrage en milieu désertique, le ministère des municipalités et de l’environnement souhaite remplacer d’ici à 2025 l’usage d’eau souterraine pour la production de fourrage par celle des eaux usées traitées. (...)

« L’eau est un bien tellement précieux que faire de l’agriculture dans ces conditions me paraît complètement fou. Commettre un suicide hydrique pour des raisons politiques et non pour des raisons de survie, je trouve cela un peu saumâtre », commente Alain Gachet pour qui le Qatar doit accentuer ses efforts en termes de recherche et développement agricole. (...)

En dépit de leur importance fondamentale, les défis environnementaux que doit affronter le Qatar demeurent souvent incompris par une large frange de la population locale. « Les Qataris sont encore loin des réalités sur ce sujet, ils ne semblent pas y voir une menace immédiate [...] Ils ne comprennent pas l’ampleur de la situation », confie Neeshad Shafi, un citoyen indien qui a cofondé le Mouvement de la jeunesse arabe pour le climat au Qatar (AYCMQA). Son ambition est de mettre en contact la société civile et les autorités locales pour ouvrir un espace de dialogue multidimensionnel où la question environnementale puisse être évoquée dans un esprit critique et constructif. (...)

À ce jour, les réserves en eau souterraine de l’émirat s’épuisent quatre fois plus vite que les cycles naturels ne les régénèrent. (...)