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Qu’est-ce que la vidéosurveillance algorithmique ?
/La quadrature du net
Article mis en ligne le 24 mars 2022

La semaine dernière, La Quadrature du Net a transmis à la CNIL sa position relative à la vidéosurveillance dite « algorithmique », ainsi que plus de 170 contributions de personnes nous ayant mandatées dans le cadre d’une contre-consultation populaire.

Nous allons revenir prochainement sur le détail des arguments qui conduisent, selon nous, à combattre toute légitimation de ces dispositifs. En attendant, il est essentiel de revenir sur ce que signifie ce terme et sur la nature exacte de ces technologies déployées depuis plusieurs années en France. Alors, de quoi parle t-on ?

Définitions

Selon la CNIL, la « vidéo augmentée désigne ici des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique, en temps réel et en continu, des images captées par la caméra. » (...)

Il s’agit de l’ajout d’une couche d’algorithme aux caméras de vidéosurveillance dites « classiques ». Et ce, dans le but de rendre automatique l’analyse des images captées par caméras, jusqu’à présent réalisée par des humains, les opérateurs vidéos aux sein des centres de supervision urbains (CSU). Alors pourquoi ces différences de langage ?

Parce que les mots ont un poids fort, nous préférons « automatisation » – ce terme déconstruit la notion d’intelligence qu’apporterait soit-disant la technologie. L’automatisation n’est pas un procédé neutre et en dehors du monde social mais qui transporte 1 avec lui les représentations et normes de celui-ci. Et « algorithmique » pour rendre visible l’ajout de ces logiciels fabriqués par des start-up et multinationales dont on ne sait pas grand chose. (...)

Cette surcouche algorithmique vise à faire de l’analyse vidéo, que ce soit en temps réel ou après coup, et à repérer… ce que la police a envie de repérer. Cela va de la « détection de comportement suspect », au « maraudage » (entendre être statique dans l’espace public), en passant par le « dépassement d’une ligne », le suivi de personne, la détection d’objet abandonné, d’une bagarre, d’un vol etc.
Le déploiement de la VSA dans les villes (...)

Depuis plusieurs années, nous suivons ce déploiement, souvent très opaque (toutes les municipalités ne sont pas aussi loquaces que celle d’Estrosi). Alors que la VSA faisait l’objet jusqu’il y a peu de très nombreuses expérimentations sauvages, la CNIL a explicitement demandé en janvier 2022 aux industriels du secteur de lui faire des retours sur l’usage de ces technologies « afin d’accompagner leur déploiement », prenant clairement un parti : celui des industriels de la sécurité. La VSA semble en passe d’inonder le marché de la sécurité urbaine numérique. (...)

si des acteurs comme IBM à Toulouse n’ont pas réussi à rendre efficace leur produit et semblent s’être retirés, l’entreprise israélienne Briefcam (entité du groupe Canon) prétend dominer le marché en France tandis que des villes signent des partenariats avec des start-up ou firmes françaises, soutenues par les décideurs politiques, afin de rendre les industries françaises concurrentielles sur le marché international de la sécurité urbaine numérique. (...)

Les effets de la vidéosurveillance algorithmique

L’ajout d’algorithme à la vidéosurveillance « classique » n’est pas anodin. Cela témoigne d’un changement d’échelle dans la surveillance par les caméras qui, jusqu’à présent, comme le décrit Tanguy Le Goff2, était un « travail de surveillance […] jugé ennuyeux et monotone » au sein duquel les opérateurs vidéos mettaient en place des stratégie pour réaliser ce travail de manière partielle.

L’automatisation de cette surveillance est censée décupler les yeux derrière l’écran des caméras. Et cela se traduit notamment par la criminalisation de comportements jusqu’alors anodins ou presque comme le dépôt d’ordures sauvage, le non port du masque ou encore les déjections canines. L’automatisation permet à la police d’étendre sa capacité d’action à de nouveaux champs sur lesquels elle a maintenant un pouvoir de répression. (...)

Un autre aspect de la VSA est la tendance croissante à être mis en données. Au-delà de la surveillance de l’espace public et de la normalisation des comportements qu’accentue la VSA, c’est tout un marché économique de la data qui se frotte les mains. Le prétendu « encadrement » des dispositifs promis par la CNIL permettrait aux entreprises de la Technopolice d’utiliser les espaces publics et les personnes qui les traversent ou y vivent comme des « données sur pattes ». Et aux industries de la sécurité de se faire de l’argent sur nous, d’améliorer leurs algorithmes de répression et ensuite de les vendre sur le marché international. (...)

De quoi la VSA est-elle le nom ?

Vidéosurveillance automatisée et Smart City nourrissent la même fiction : celle d’une ville dont les capteurs mettent en données, où les algorithmes trient et détectent et où une plateforme centrale permettrait à la police de gérer la ville à distance.

La vidéosurveillance algorithmique, c’est un marché de la sécurité qui tente de s’accroître en devenant « numérique » c’est-à-dire avec de l’IA et des algorithmes. Et comme le montre Myrtille Picaud 3, les industriels et décideurs politiques français font pression pour structurer une filière industrielle sécuritaire forte afin d’être concurrentielle sur le marché international, qui représente un marché économique énorme. (...)

Pour les industriels, la VSA représente la possibilité de justifier le déploiement de centaines de milliers de caméras en France. Déploiement largement décrié 4 même par les institutions publiques, mais qui, par un tour de magie, prendrait tout son sens avec l’ajout d’algorithmes (argument absurde, nous y reviendrons dans un prochain article). La VSA permettrait d’utiliser les caméras à leur plein potentiel et même d’accélérer leur déploiement : il en faudra plus et il faudra aussi remplacer les anciennes qui ne seraient pas d’assez bonne qualité pour les algorithmes ; et surtout s’assurer de poursuivre l’installation démesurée de caméras qui continueront à rapporter beaucoup d’argent aux entreprises du secteur.

En plus de constituer une justification à la multiplication des caméras de vidéosurveillance, la VSA forme une ressource rentable 5 politiquement, expliquant l’engouement immodéré des élus locaux pour la vidéosurveillance. La VSA est une mesure de court terme que les élus locaux peuvent mobiliser pour montrer qu’ils agissent. (...)

Ces technologies d’automatisation réduisent encore les espaces de libertés dans les rues et sur les places des villes, augmentant la répression sur les populations les plus visées déjà par la police. Nous reviendrons plus en détail sur ce pour quoi nous sommes contre cette technologie et comment il est possible de lutter contre son déploiement.