
Nous publions ci-dessous, et sous forme de tribune [1], un article consacré à un montage d’archives assemblé à la va-vite sous le titre « Action directe, la politique et le terrorisme islamique selon Jean-Marc Rouillan » et mis en ligne sur le site de France culture le mercredi 12 septembre 2018, alors que paraît Dix ans d’Action directe de Jean-Marc Rouillan. (...)
On aurait pu s’attendre, de la part d’une journaliste de France culture, à un peu de curiosité pour l’évolution récente de l’exercice de la justice et, en particulier, pour les conditions dans lesquelles Rouillan a été condamné pour « apologie du terrorisme ». On aurait alors appris les difficultés que pose cette accusation depuis qu’en novembre 2014 elle peut être jugée en comparution immédiate : parce qu’elle met en danger la liberté d’expression ; en plus des problèmes d’application qu’elle rencontre [11].
Sans non plus fouiller bien loin, France culture aurait aussi pu découvrir comment, début octobre 2016, quelque temps après la première condamnation de Rouillan pour « apologie du terrorisme », l’essayiste Éric Zemmour donnait au mensuel Causeur son appréciation des terroristes de l’État islamique, qu’il refusait de qualifier d’« esprits faibles » avant d’affirmer qu’il « respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient » et de préciser, à propos de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice : « Quand les gens agissent parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable. » Début janvier 2017, quelque temps après la confirmation en appel de la condamnation de Rouillan, le parquet de Paris classait sans suite l’enquête qu’il avait ouverte sur Zemmour pour « apologie du terrorisme », estimant que l’infraction était « insuffisamment caractérisée » [12]. Il est difficile de ne pas se réjouir de cette décision. Et en même temps de ne pas se demander, en comparant les propos et les jugements, si l’on n’a pas affaire à une illustration exemplaire du caractère vague de l’incrimination (qui est par principe à proscrire en matière pénale), sans parler du poids de l’identité, de l’histoire et des positions sociale et politique des accusés dans l’extensibilité des jugements et des problèmes que cela pose à l’exercice de la justice.
Alors que les tribunaux peinent à appliquer la justice, les médias ont-ils besoin d’ajouter ce lot d’injustice que recèle toute inexactitude ?