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Quand l’Éducation Nationale étouffe les vocations : témoignage d’une enseignante effondrée
Article mis en ligne le 12 juin 2016
dernière modification le 8 juin 2016

Elle y croyait. Elle s’est investie à fond dans son métier, a monté des projets originaux, a accompagné les élèves en difficulté, a aidé des enseignants fragilisés, a assumé des responsabilités en dehors de son temps de travail... Pour rien. Absence de moyens, mépris de la hiérarchie, mutations absurdes, surcharge de travail... Une jeune enseignante raconte son combat et sa souffrance croissante dans l’enseignement secondaire, où la gestion bureaucratique et les coups de com’ ont pris le pas sur la pédagogie, l’engagement des enseignants et les réalités sociales. Et ce, malgré les grands principes affichés par la réforme des collèges.

(...) Je suis devenue enseignante de lettres classiques, j’ai atteint la destination que je m’étais fixée treize ans auparavant. J’ai enseigné pendant cinq ans dans le Nord de la France. Aujourd’hui, je doute encore parfois, mais une chose est certaine : je n’enseignerai plus jamais dans l’Éducation nationale.

Monsieur D. et l’institution qu’il représentait m’ont trahie. (...)

Une phrase.

Elles m’ont vue aux réunions préparatoires, plus enthousiaste que le reste de mes collègues, investie, motivée, en pleine ébullition. Elles m’ont vu accepter de ne pas être payée les vendredis après-midi pour que le projet ne coûte pas trop cher. Elles ont vu mon espoir, elles ont vu mon attente. Mais je ne mérite pas plus que ça, une phrase au détour de l’ordre du jour de la réunion. Je ne mérite pas deux minutes en tête à tête pour reconnaître mon investissement et regretter avec moi le projet qui n’aboutira pas. La faute est au Département qui n’a pas les fonds. Mes chefs refusent de prendre la responsabilité de cet échec, et je me retrouve sans personne à blâmer, sans personne à qui exprimer ma déception, mon regret, ma frustration. La faute à personne... tant pis pour moi. (...)

J’entends partout combien les disciplines que j’ai choisies, qui me passionnent, qui je le crois sincèrement sont porteuses d’émancipation pour les élèves d’origine populaire, sont ennuyeuses et dépassées. J’entends partout que nos cours sont pleins de grammaire aride et de déclinaisons obscures. Je vois mon métier voué aux gémonies, ridiculisé, méprisé.

Moi qui n’ai jamais fait de cours magistral, qui ai traduit du rap et Pharell Williams en latin, qui ai monté une pièce de théâtre en toge avec surtitrage powerpoint, je m’entends dire que je suis élitiste, ennuyeuse et dépassée. Il faut changer, faire des projets, du concret, du ludique... Ah bon ? Quelle nouveauté ! Je m’engage syndicalement pour combattre ces mensonges éhontés, pour organiser la résistance au sein du collège et auprès des parents. Je sens un nouveau souffle s’emparer de moi, je me dis que je trouverai peut-être mon épanouissement dans le travail par ce biais là, à défaut de le trouver dans l’enseignement de la littérature.

Je décide de préparer un voyage cette année : devant le danger de disparition de ma matière, devant l’envie et la gentillesse de mes élèves, je me lance dans ce projet chronophage et compliqué d’une visite de la Provence romaine.

Exposée en tant que syndicaliste, je me retrouve convoquée chez la principale pour différents motifs, je reçois des remarques déplacées et des regards désapprobateurs. J’organise une réunion syndicale qui se déroule tant bien que mal : je fais de mon mieux pour qu’on laisse parler les collègues qui défendent cette réforme que j’abhorre, afin qu’ils ne se sentent pas acculés. Le lendemain, une collègue m’agresse devant mes élèves, dans la cour, me reprochant ce que d’autres ont dit à la réunion. Elle m’impose l’entière responsabilité de tout ce qui s’y est dit.

Au bout de quelques mois, tous les voyages prévus sont annulés faute de moyens. La principale ne souhaite pas financer les voyages sur les fonds du collège, assumant sa gestion « en bon père de famille » nous dira-t-elle. Les élèves et les parents sont déçus, quant à moi...

Trop de choses s’accumulent.

J’ai trop donné, pour rien.

J’ai trop espéré, pour rien.

J’ai trop combattu, pour rien.

Je m’effondre.
(...)