
Un an après la tempête Alex qui a ravagé la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, les habitants pansent leurs plaies. Alors que les souvenirs sont encore vifs, les pelleteuses s’activent jour et nuit pour reconstruire les villages. L’occasion d’imaginer une nouvelle vallée plus verte et moins bétonnée.
Douze mois après la tempête Alex, ces vestiges rappellent la violence de la catastrophe, que l’écoulement paisible de La Roya peine à figurer. L’ensemble de la vallée reste profondément balafrée.
Alors que le 2 octobre 2021 marque le premier anniversaire de la catastrophe, au cours de laquelle 10 personnes sont mortes et 8 autres ont disparu, un ballet ininterrompu d’engins de chantier s’affaire dans les cinq villages de la vallée de la Roya (Tende, Saorge, Breil-sur-Roya, Fontan et Sospel). La route départementale qui les relie est progressivement réparée. Celle qui lie la France à l’Italie par le col de Tende, elle, reste fermée. La vallée des Merveilles, poumon touristique de la Roya, est difficile d’accès. Le hameau qui y mène, Casterino, est encore coupé du monde. Son accès par la route départementale 91 devrait être rétabli fin 2022 [2]. En septembre dernier, le pont de Pertus à Breil-sur-Roya a été le premier pont reconstruit, mais dans des villages, des morceaux de route manquent encore. Des immeubles fissurés menacent de s’effondrer, des maisons — trop proches du fleuve pour être habitées — sont abandonnées, des commerces fermés. C’est dans ce contexte, avec ces souvenirs bien présents, qu’est attendu Emmanuel Macron ce samedi 2 octobre, sans que sa visite ne soit confirmée. (...)
Avant ce week-end de commémoration, la catastrophe était sur toutes les lèvres. « C’était comme si des citernes d’eau s’abattaient sur la vallée », se remémore Véronique, éducatrice au Prieuré, un Établissement et service d’aide par le travail (Esat) à Saint-Dalmas-de-Tende. En quelques heures, il est tombé par endroit l’équivalent d’un an de pluie. La Roya et ses affluents ont crû de plus de 8 mètres de hauteur. Le fleuve s’est mué en un immense torrent de boue, dévastant tout sur son passage. Outre les maisons et routes arrachées, des voitures ont été emportées par les flots et des tombes du cimetière du village ont été éventrées. Des dépouilles ont été retrouvées jusque sur le littoral italien. (...)
« Tu deviens un migrant climatique »
Des tonnes de gravats, charriés par la tempête, ont atterri sur le terrain de Jean-Pierre Cavallo, éleveur de brebis. Deux de ses bergeries ont été détruites. Il est désormais contraint de migrer à Istres, à près de 300 kilomètres de là, avec ses ovins, pour passer les hivers : « Un matin, tu te lèves et toute une vie de labeur est anéantie. Tu deviens un migrant climatique ». (...)
À Tende, village le plus dévasté, 600 habitants sur les 1 200 ont préféré partir. La moitié du village. À Breil-sur-Roya, qui a perdu son stade de football, son camping, deux hôtels et ses activités de canyoning, le centre historique est en péril. Le Café des Alpins tenu par Serge Bonnafous, l’un des centres de convivialité du village, reste fermé. « L’immeuble menace de s’effondrer », déplore le barman, qui officie depuis le 28 juillet dans un préfabriqué en bois. (...)
Quant aux assurances, « on se demande bien où est la couleur de leur argent, poursuit Serge. Pour le bar, plutôt que de nous couvrir contre la catastrophe naturelle, l’assurance compense seulement certaines pertes d’exploitation [3]. Comment je fais avec ça ? Ma fille a perdu sa maison, et un an après elle ne sait toujours pas combien elle pourra toucher. C’est une honte. »
D’après le préfet chargé de la reconstruction, Xavier Pelletier, 420 biens immobiliers ont été détruits lors de la tempête ou seront détruits, car jugés trop dangereux. Selon la Fédération française de l’assurance, sur les 13 000 dossiers de particuliers sinistrés recensés par les assureurs, 92 % des habitants des vallées touchées — La Roya, la Vésubie et Tinée — ont reçu une première indemnisation. « Beaucoup demeurent dans l’incertitude, nuance Marylène Walkowiak, adjointe au maire de Breil-sur-Roya. Il faut sortir du flou au plus vite et obtenir des réponses. » (...)
Christine et Bruno Bergallo ont fait du pain sans relâche, pendant 31 jours consécutifs. « Par miracle, nous avions encore de l’eau et de l’électricité, alors nous avons préparé 400 baguettes par jour, explique Christine Bergallo. Il fallait travailler, tout en prenant soin d’écouter les malheurs de nos clients. C’était dur. Nous étions à la fois boulangers et psys, et à la fin c’est nous qui sommes allés en voir un, de psy. » (...)
« Nous avons déblayé des maisons, extrait des meubles, nettoyé le limon, rétabli des voies d’accès, construit des passerelles... » (...)
Vers une vallée plus verte ?
La solidarité des citoyens n’a pas suffi à tout reconstruire. En juin dernier, « entre 522 et 572 millions d’euros » ont été promis par le président Emmanuel Macron pour reconstruire des ponts, sécuriser les maisons en bordure, remettre en état des bâtiments publics ou encore protéger les rives pour sécuriser les routes. Dans la vallée, des voix s’élèvent pour que les citoyens soient associés à la reconstruction. « On ne nous demande jamais dans quelle vallée nous voulons vivre », regrette Skan, 32 ans, qui a ouvert une épicerie à Tende après la tempête. « Aujourd’hui, l’argent public dépensé ne correspond pas à une volonté du peuple, mais aux intérêts des entreprises du BTP », déplore le paysan Cédric Herrou, dont les terres sont devenues une communauté Emmaüs qui propose ses productions bio en circuit court. Emmaüs Roya a organisé plusieurs journées de « réflexion citoyenne » pour imaginer l’après. (...)
Parmi les souhaits des citoyens : la naissance d’une vallée verte, moins bétonnée, moins tournée vers la voiture. « On ne sait peut-être pas construire des ponts, mais on sait si on veut prendre la voiture ou le train des Merveilles, dit Cédric Herrou. La démocratie, c’est avoir confiance en l’intelligence du peuple. Malheureusement, les élus ne l’ont pas compris. »
« Avec tout le béton qui est coulé chaque jour dans la vallée, j’ai peur que ce soit déjà foutu, nous sommes en train de retrouver l’“avant” sans aucune concertation », regrette Nathalie. « On est quand même bien obligé de reconstruire les routes, n’en déplaise aux “écolos youyous” purs et durs ! s’emporte Marylène Walkowiak. Moi je vends des vêtements sur le marché, j’amène ma marchandise comment ? Je ne suis plus à l’âge de l’âne et de la charrette. »
À l’occasion de la venue d’Emmanuel Macron ce samedi 2 octobre, un collectif d’habitants et amis de la Roya, qui se définissent comme « victimes et témoins directs des ravages provoqués par la crise climatique », compte manifester pour demander au président de développer le train des Merveilles. « C’est notre ligne de vie, et ses trois passages quotidiens ne permettent pas aux habitants de se passer de leurs voitures », déplore Patricia Alunno, présidente Comité de défense franco-italien de la ligne. Le collectif propose également de végétaliser les berges, de créer un corridor pour les cyclistes et des aides pour encourager les citoyens et les acteurs économiques à s’installer.
« Après cette tempête qui a détruit des projets, des perspectives, des espoirs, nous devrions partir d’un autre pied, expérimenter un autre mode de vie. Pour que les parents restent, il faut un projet enthousiasmant, autour de l’écologie, du sensible, de la convivialité, de la solidarité », dit Jacques Perreux, organisateur du festival des Passeurs d’humanité. (...)