
Deux ans après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence, une partie des médias dominants déchantent, plus ou moins ouvertement. Mais aucun ne rappelle qu’en 2017 du véritable panégyrique déversé sur le corps électoral. Y compris Mediapart, où Macron avait « commencé un peu [sa] campagne » et où il avait donné son dernier entretien, dans les dernières heures qui précédent officiellement la clôture.
Nous publions cet extrait du livre « Au nom de la démocratie, votez bien ! » (et en vente sur notre boutique) qui revient sur l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle 2017, en attendant d’en débattre lors du prochain Jeudi d’Acrimed, le 27 juin 2019 à la Bourse du travail à Paris.
Le 26 avril 2017 dans L’Express, Christophe Barbier, exalté, met à profit son bagage de normalien : « Emmanuel Macron incarne déjà la plus incroyable aventure politique de la Ve République. […] Nous avons été témoins de la concrétion d’un enfant du siècle. […] Mais, d’ores et déjà, par l’effet Macron, plus rien ne sera comme avant dans la vie politique française. Il faut voter Emmanuel Macron. »
Deux jours plus tard, dans Libération, exploitant le même registre lyrique, Laurent Joffrin met en garde contre l’abstention : « C’est bien l’esprit de la République qui est en jeu. […] La République qui laisse ouvert le choix des politiques, du centre, de droite ou de gauche, au lieu de jeter la France dans l’enfermement nationaliste. La République, les choses étant ce qu’elles sont, c’est le vote anti-Le Pen. C’est donc le vote Macron. »
Une douce propagande – certains parlent de « pédagogie » – en faveur du vote Macron s’est jointe au vacarme médiatique. (...)
Sur la radio publique, encore, Patrick Cohen reçoit, avec un empressement aussi visible que complice, le directeur de Mediapart Edwy Plenel dans sa matinale. À son tour, passage médiatique obligé de l’entre-deux-tours, l’ancien directeur de la rédaction du Monde fait (humblement) la retape pour le vote Macron : « Parfois j’ai l’impression que je les convaincs mieux [les électeurs, de voter Macron] que certains de ses soutiens. »
Créé en 2008 par Edwy Plenel, François Bonnet, Gérard Desportes et Laurent Mauduit, le site d’information Mediapart s’est construit comme un média complètement indépendant, sans publicité et financé uniquement par les abonnements des lecteurs. Hormis Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo, rares sont les médias qui ont su pérenniser ce modèle économique ambitieux, souvent voué à l’échec. Bâti comme l’organe de presse qui allait être le premier opposant de Nicolas Sarkozy, le pureplayer fit des enquêtes d’investigation son fonds de commerce. Le succès de l’entreprise alla au-delà de l’espérance de ses fondateurs, reposant sur des rubriques pertinentes nourries par des articles de qualité. Comme c’est le cas au Monde, au Canard enchaîné, à Radio France ou dans Les Échos : de bons journalistes qui font bien leur travail. (...)
tandis que Mélenchon boycotte les invitations de Mediapart, Macron les honore. La première faite au futur candidat débouche, le 2 novembre 2016, sur un très long entretien au cours duquel Macron doit affronter les questions de toute l’équipe, mais surtout celles de Laurent Mauduit, qui se définit lui-même comme un « soutien critique » de l’ex-ministre de l’Économie. En mars 2017, Philippe Riès, inquiet du risque que Macron « provoque l’anathème » dans une France dont la « “culture” économique » est marquée au sceau de la « doxa étatiste », tente de démontrer que « les propositions économiques du candidat d’En marche ! procèdent d’un libéralisme très modéré [3] ».
Puis vinrent les résultats du premier tour. Et le silence de Jean-Luc Mélenchon. Si les journalistes de Mediapart n’ont pas été les premiers à attaquer Jean-Luc Mélenchon sur son refus de donner une consigne de vote pour le second tour, ils n’étaient pas les derniers pour autant.
Dans un premier temps, Plenel et ses troupes pourfendent Mélenchon pour son refus d’appeler sur-le-champ à voter Macron (...)
Aussi, malgré l’habillage, Mediapart n’a pas été autant qu’il veut le faire croire « un média à part ».
Des exemples par dizaines, dans les émissions de débats, sur les ondes et dans la presse écrite, où les éditoriaux pour le vote Macron ont envahi les colonnes des journaux. Libre à chaque chroniqueur d’appeler poliment à voter Macron – surtout face au Front national –, mais on peut s’interroger sur cette absence de pluralisme dans les médias… En « posant sur le fonctionnement des médias un verre grossissant », l’entre-deux-tours de la dernière élection présidentielle a dévoilé la prétention d’une clique de journalistes à dicter aux gens ce qu’ils devaient penser (et faire), mettant à nu ses méthodes : « un prosélytisme infantilisant dont l’aspect primitif aurait même indigné le Rodong Sinmun, l’équivalent nord-coréen du Monde [4] ».