
Ce qui a commencé, c’est l’une de ces séquences assez rares qui voient les médias dominants émettre des réserves (timides) ou faire état de critiques (superficielles) sur des sondages qu’ils se bornent généralement à publier et à commenter avec avidité. La publication des sondages sert parfois à critiquer les sondages, sans renoncer pour autant à les commanditer. À tous les coups on gagne. Rien d’étonnant donc à ce que cette critique médiatique soit confiée aux journalistes et aux sondeurs. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.
De quoi s’agissait-il ? D’un sondage d’intention de vote, réalisé à quinze mois d’une échéance électorale dont on ne connaît ni les participants, ni leurs projets, ni leur programme. Autant dire une coquille vide, promue aussitôt sujet incontournable par tous les commentateurs professionnels du commentaire et les journalistes politiques experts en dépolitisation. S’il est possible, sinon probable, que Marine Le Pen et ses « idées » jouissent d’une popularité croissante, « intentions de vote » ne signifie rien dans ce cas. Mais qu’importe à nos sondomaniaques, pressés de disserter à longueur d’antenne sur le « phénomène » ou la « dynamique Marine Le Pen » [1]. Au risque, non négligeable, de l’entretenir, sinon de la créer. (...)
Face au sondage du Parisien, nombre de médias ont soudainement éprouvé quelques scrupules. Et pour cause : cela permet de papoter sondage, encore et toujours, mais la conscience allégée, et pour n’en dire pas grand-chose de plus qu’en temps ordinaire. (...)
Quant aux « critiques déclenchées par les enquêtes d’opinion » – ou plutôt les critiques des sondages d’intentions de vote portées, dans un silence médiatique assourdissant, par une association comme la nôtre, avec quelques autres, elles sont et resteront inaudibles. Seules celles des journalistes accrédités et des sondeurs eux-mêmes, dont on imagine la radicalité, auront droit de cité dans les médias qui, il est vrai, les convoquent en général, avec les honneurs dus à leur rang, pour commenter de concert l’enquête qu’ils ont coproduite. (...)
Quant aux « critiques déclenchées par les enquêtes d’opinion » – ou plutôt les critiques des sondages d’intentions de vote portées, dans un silence médiatique assourdissant, par une association comme la nôtre, avec quelques autres, elles sont et resteront inaudibles. Seules celles des journalistes accrédités et des sondeurs eux-mêmes, dont on imagine la radicalité, auront droit de cité dans les médias qui, il est vrai, les convoquent en général, avec les honneurs dus à leur rang, pour commenter de concert l’enquête qu’ils ont coproduite. (...)
La critique (modérée) des sondages est ainsi tolérée… dans la mesure où elle permet aux journalistes de continuer à s’adonner aux joies de la sondologie. (...)
De ce petit épisode, l’on peut déduire ce mode d’emploi médiatique des sondages par temps de campagne présidentielle (c’est-à-dire par tous les temps) : commander, publier et commenter sans retenue. Si un sondage grippe la machine (biais trop voyants, résultats non-conformes...), convoquer quelques amis sondeurs pour réfléchir avec eux à leur méthodologie et au moyen de faire comprendre à l’opinion la nécessité d’une prudence dont personne ne fait usage en temps normal. Et surtout, surtout, ne jamais poser les questions de la signification des sondages, de leur rôle dans la dépolitisation, la personnalisation, l’assèchement du débat public, et de la responsabilité des médias dans leur prédominance. Ou à la rigueur, si l’on tient, comme au Monde, à poser la question, ne pas fournir le moindre élément de réponse.
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